Lusopholie

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Archive pour le 29 août, 2009

le vieux potier

Posté : 29 août, 2009 @ 8:00 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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Dans la lointaine ville de Kashan, quelque part entre les cités de Qom et d’Isfahan, vivait, il y a pas mal d’années, en vérité même de siècles, un vieux potier dont on disait, comme il convient dans une histoire ancienne, qu’il était le meilleur potier de sa ville, et même plus que de sa ville, des terres alentour, du moins jusqu’aux dites cités de Qom et d’Isfahan, terres réputées et estimables s’il en est, qui elles aussi avaient de bons artisans. Mais ceux-ci ne nous intéressent pas dans cette histoire : et, comme la réputation est une chose qui s’acquiert par des causes inconnues ou des arts ignorés, ce que je dis maintenant, c’est que le nom du vieux potier de Kashan était plus grand que ce qu’aurait laissé supposer la petitesse des murailles qui encerclaient sa ville. Car il vaut mieux savoir qu’au temps où s’est passé ce qui est raconté ici, Kashan n’était pas encore la grande cité préférée plus tard par le jamais assez loué Shah Abbas, qui y avait son séjour régulier, promenant son ennui entre la mosquée de Agha Bozorg, les jardins Bagh-e-fin et le palais de Bouroujerdi. Sachez que non, qu’il était plus tard, déjà au XVIIème siècle, ce qui équivaut à dire quatre cents ans après cette histoire, lorsque ledit Shah Abbas (jamais assez loué) expulsa les Ottomans de sa terre de Perse au fil de l’épée et garantit l’indépendance de son pays. En vérité lorsque le potier en question vivait ici, qu’était Kashan sinon une ville taillée entre des murs hauts et étroits, aussi étroits que les ruelles communes de la médina où le fils du Prophète parcourait les ombres en quête de brise qui le console ? Encerclée par le grand désert de la région de Kavir, la ville apparaissait aux caravaniers qui parcouraient les sables infinis comme un humble mirage de paix – car elle l’était, bien sûr – puisque les quatre canaux d’eau qui la desservaient lui donnaient la fraîcheur qui console les corps des voyageurs et l’ombre qui fait se recueillir les justes à la prière. Ainsi était la ville où, assoiffés, ils arrivaient ; une île perdue au milieu des sables persans, la première oasis de la longue et pénible route entre Qom et Kermân.
Il est donc facile de conclure qu’en ce temps là, la réputation du potier dépassait de beaucoup la paisible petitesse de sa ville.

Sérgio Luís de Carvalho, Retrato de S. Jerônimo no seu estúdio, Campo das Letras, 2006

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