Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

avant-dernier voyage

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 20 septembre, 2009 @ 7:18

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C’est pourquoi aujourd’hui, après tant d’années, il ne pouvait tolérer le manque de respect dans les cimetières que les journaux rapportaient : des os et des morceaux de crâne avec encore des cheveux dessus éparpillés n’importe où, des tombes et des cercueils violés, des attaques et des coups de feu anarchiques pendant les cérémonies funèbres. Il se révoltait naïvement : Si ces types n’ont pas peur des morts et de l’Au-delà, comment peuvent-ils respecter les vivants ? Les dernières informations sur la présence d’adolescents aux lunettes noires, à la chemise déboutonnée ou sans manches et à la tête rasée entourée de rubans jaunes, qui s’infiltraient dans les cortèges avec un air compassé et des fleurs à la main pour aussitôt après se livrer au pillage du dernier costume ou des dernières chaussures du défunt, avaient fini par épuiser sa patience et son indignation. Ça, et cette pratique déshonorante de la part des familles mêmes, qui préféraient la plupart du temps déchiqueter le cercueil à coups de hache avant qu’il descende dans le trou, pour éviter qu’on le vole et qu’il soit revendu par la suite à un autre hôte ayant passé l’arme à gauche… C’est à ce moment-là qu’il conçut, donc, une opération périlleuse et radicale : se faire passer pour un défunt pour venger l’Au-delà !

 

Il s’informa de la durée moyenne des bouteilles d’oxygène des plongeurs sous-marins, se remit à aiguiser les lames expérimentées de ses anciens poignards, se ceignit de grenades, s’équipa de façon plus moderne d’armes à feu légères et efficaces, et, animé de ces belliqueuses intentions, se fit installer par des amis de confiance et d’anciens compagnons de lutte dans sa prétendue dernière demeure. La mise en scène fut accomplie jusqu’au final, avec les pleurs et les chants funèbres, et même avec les incantations inattendues d’une vieille femme qui, apparemment perdue dans ce labyrinthe d’allées et de tombes sans aucune signalisation, semblait demander par là aux morts une aide que les vivants ne lui donnaient pas. Dans son cercueil l’ex-commando eut la chair de poule : et si c’était un signe qu’il n’aurait pas dû défier l’Au-delà dans ces proximités si proches ? Mais il se rassura vite, confiant dans le fait que même ses anciennes victimes approuveraient ses intentions sérieuses et sacrées d’en finir une bonne fois pour toutes avec ces manques de respect abusifs envers les défunts sans défense. Les mauvais pressentiments lui revinrent pendant un instant fugace, lorsqu’il entendit la musique sourde et lugubre des premières pelletées de terre sur le couvercle du cercueil : et si on ne le tirait pas de là à temps ?
Lorsque tous ceux qui l’avaient accompagné furent partis, encore inquiets de l’audace du faux mort, les pioches et les pelles se mirent à creuser furieusement la terre encore molle, à la façon précipitée des pillards. Attentif, l’encercueillé se prépara, sachant par avance que, la cupidité commandant de préserver le bois intact, aucun de ces lourds outils de métal n’allait lui trouer la poitrine prématurément. En un instant il se sentit hissé, la tête dangereusement penchée vers le bas et les bouteilles de gaz enfoncées dans le dos.

Extrait de « Le vengeur de l’au-delà », José Mena Abrantes, Caminhos des-encantados, Caminho, 2000

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