Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour le 20 octobre, 2009

dimanche chez Maman

Posté : 20 octobre, 2009 @ 7:25 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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Intérieur

Il avait passé une semaine à préparer cette visite et maintenant il était assis à côté de sa mère et n’avait pas le courage de regarder les tours que la nourriture faisait dans sa bouche, une pâte blanche qui l’écœurait et qui atterrissait de temps en temps dans son assiette quand son dentier se décrochait, à ce moment-là sa mère écartait la nourriture mastiquée et remettait avec dextérité son dentier en place, appuyait dessus avec sa langue et se remettait à manger, elle tournait et retournait les aliments dans sa bouche et ne s’occupait plus de la nourriture mastiquée au bord de son assiette, il avait la nausée, il détournait les yeux vers l’écran où le regard opaque de sa mère se perdait, les yeux vitreux de sa mère redoutaient les eaux argileuses du fleuve qui avaient pénétré dans une salle à manger, la pièce que montrait la télévision aurait pu être la sienne, le buffet et la cène du Christ pendue au mur étaient les mêmes, le journaliste annonça encore après un court intervalle que deux soldats avaient été tués, sa mère saisit la télécommande et changea de chaîne, il vit les mêmes eaux sur l’autre station de télévision, une école avec les bureaux empilés et un énorme atlas détrempé, le fleuve devrait regagner son lit mais ce monde resterait à jamais déformé, des enfants se rassemblaient à la sortie de l’école et jouaient avec l’eau qui envahissait leur avenir, sa mère rechangea de chaîne parce qu’elle n’aimait pas les nouvelles répétées, ils disent tous la même chose, sur l’autre chaîne ils trouvèrent un homme angoissé, c’est alors que j’ai découvert que ma prostate, la salle aseptisée d’une clinique spécialisée, une blouse blanche immaculée, la prostate de l’inconnu en débat, sa mère que cela n’intéressait pas appuya sur la télécommande, passa à la musique d’un violon, à des soldats tués, elle dit qu’elle les connaissait, elle les avait déjà vus souvent à la télévision, elle baissa la tête pour attraper un morceau de pain et à cet instant apparurent sur l’écran d’autres morts qui n’étaient pas en uniforme, quand elle leva les yeux elle sursauta quand même mais elle s’aperçut que ces morts venaient d’encore plus loin et fut rassurée, les morts très lointains aux vêtements bizarres restèrent sur l’écran lumineux,

Dulce Maria Cardoso, Coeurs arrachés (Campo de sangue) Phébus, 2006

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