le traducteur et le peintre
Antonello da Messina, Saint-Jérôme en son étude
Après lui, qui se sait déjà très proche de sa mort, les hommes continueront à suivre les faiblesses de leur faible nature, ils la suivront toujours, bien après que son propre corps se sera à la fin changé en poussière, bien après que d’autres hommes, qui se prendront pour plus doctes que lui, l’auront déclaré Docteur de l’Eglise. Lui : Jérôme, Docteur de l’Eglise. Et, après que d’autres hommes, eux aussi considérés comme docteurs – réunis à Trente plus de mil et cent ans après sa mort, auront dit et assuré que sa Vulgate serait l’unique version autorisée des Ecritures. Si Jérôme savait tout cela, il sourirait de tout cela ; et il y aurait dans ce sourire plus d’amertume que d’orgueil car à présent, se sentant si proche de sa mort, Jérôme se demande si tout n’a pas été en vain, son ermitage et son travail et ses études et sa mission. Des hommes reste la faiblesse, du monde ne reste que le mal. Et de lui, Jérôme, il resterait l’effort et tout le reste oublié sur les étagères, preuve suffisante qu’à la fin, à la fin c’est à la poussière que tout repart et retourne. Et ainsi Jérôme se demande ce qui restera finalement de tout ce qu’il a été et de tout ce qu’il a fait ; et ainsi il se demande si cela a valu la peine de quitter le soleil de sa vieille Dalmatie, de sa vieille ville de Stridium et de courir le monde en mission, études, travail et ermitage. A la fin reste le monde, plus grand que lui, et restent tous les hommes que tous les jours il a voulu amender, et reste le mal détestable qu’il a toujours détesté. Mais à ce moment un rayon de soleil – le chaud soleil de Belém qui ne chauffe pas son vieux corps – s’élargit et touche son visage, et chauffe le chat alangui qui repose à ses côtés. Et Jérôme un instant ferme les yeux et sourit de cette caresse si légèrement donnée. Et Jérôme sourit de ce don ; et Jérôme voit alors, il voit alors bien en vérité, le soleil que lui montre la fenêtre, là dehors, les blanches tours des maisons des hommes en qui il n’aura jamais confiance. Et Jérôme, ouvrant un peu plus les yeux lentement, oublie les terres – qu’il se rappelle déjà mal – de Dalmatie et de Stridium si peu différentes de celles qu’il voit. Et Jérôme comprend alors combien piètre est son labeur ; il comprend qu’il restera, pour l’avenir, beaucoup plus ce qu’il a combattu que ce qu’il a souhaité pour la rédemption du monde; il comprend que tout est vain, que tout est vain, que le temps bientôt emportera son corps, et emportera, c’est certain, les feuilles qu’il a écrites.