Medecine
Loïs Mailou Jones
Les Fétiches 1938
« Mã Fifas vous attend là-derrière », avait lâché un éclaireur, en ouvrant la porte, avant même de les saluer. Elles étaient entrées. Comme Umbelina l’avait imaginé, la pièce baignait dans une semi-obscurité jaunâtre ; la faible lumière de la lampe à pétrole suspendue dans un coin du plafond permettait à peine de distinguer les contours des rares meubles existants (si tant est que ces morceaux de bois grossiers pouvaient mériter cette appellation). Mais le gamin paraissait ne pas avoir besoin d’yeux pour voir. Marchant derrière lui et la tante Francisca, Umbelina sentait dans l’air une forte odeur d’ammoniaque. Elle avait eu envie de vomir, mais elle n’y était pas arrivée : elle avait tout ravalé, gardant un goût acide dans la bouche.
Premier choc du docteur Umbelina, quand elle avait vu mã Fifas, le sorcier : « Qu’est-ce que cet homme a dans le regard ? » Elle l’avait défini elle-même : « Une lumière douce… ses yeux irradient un calme étrange, presque assassin… » ce n’est qu’après cet instant initial qu’elle s’était aperçue qu’elle se trouvait dans une pièce peinte en bleu sombre, y compris le plafond (Umbelina avait pensé à une gangrène énorme et épouvantable), sans fenêtres et chichement meublée : deux nattes, une bassine émaillée vide et une caisse en carton, sur laquelle luisait timidement une bougie grossière.
Elle avait été incapable de contenir sa peur lorsque mã Fifas, qui était assis sur l’une des nattes, lui avait dit : « Asseyez-vous là, docteur ! » Elle avait regardé la tante Francisca, qui semblait sourire (était-ce une impression ?), et obéi. « Camarade, vous ne dormez pas bien depuis huit mois, pas vrai ? Et vous n’arrêtez pas de rêver que vous êtes dans un fleuve, qui est tout à coup sans eau, tout sec, pas vrai ? » Umbelina n’avait pas supporté ces deux questions (ou affirmations ?) de mã Fifas : elle s’était mise à pleurer convulsivement, comme si elle voulait se vider de son eau. Cette réaction avait duré une demi-heure. Quand elle avait cessé, mã Fifas avait ajouté : « Il a une autre femme, n’est-ce pas ? Mais le problème n’est pas cette femme : c’est ton mari, camarade… Il veut t’arracher ton esprit, te transformer en une autre personne, surtout !… Ne pleure pas, ne pleure pas : je vais résoudre ce mambo… »
Mã Fifas recommande à la tante Francisca : « Pour que je puisse régler cette histoire, il faut qu’elle reste ici une semaine complète. Oui, elle reste tout de suite, elle ne peut pas rentrer chez elle. Elle n’a pas besoin de vêtements, j’ai des étoffes ici, elle s’habillera avec ça. D’ici une semaine vous pouvez revenir la chercher… Mais faites bien attention : personne en doit savoir que le docteur est ici… personne ! » La vieille comprend. Elle embrasse sa nièce avec émotion, et sort, aussi silencieuse qu’elle était entrée. Umbelina a les yeux rivés à ceux de mã Fifas. Elle ne sait pas que faire de ses mains.
João Melo, Imitação de Sartre e Simone de Beauvoir, Caminho, 1999
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