Rébellion
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Le lendemain matin l’infirmière est venue me casser les oreilles avec de sibyllines admonestations, disant que j’avais offensé sa petite maman chérie en pensées et en paroles déversées en majuscules, sur la feuille A4, de ma propre main. Là où elle repose tranquillement, cette dame saura mieux que personne que ma motivation n’a pas été la basse vengeance d’un prisonnier amer dans ce qui ressemble à un attentat à l’intelligence de la mère dans les trompes de la fille, avec toute la charge de transmission héréditaire de la matière grise, ou du manque de matière grise, qu’implique l’allusion. Quand on me connaît, on sait que je me tamponne d’être séquestré, d’être un cobaye de la Science – pour le bien de l’humanité, j’espère – ou un professeur du secondaire qui fait ses cours au coup par coup. Je vais où le vent me pousse. La seule chose qui m’énerve, c’est lorsqu’on met en cause ma condition d’écrivain, et que, sans m’avoir lu, on me remet une attestation de médiocrité lors d’attaques qui me laissent abasourdi, sans me laisser le temps de riposter où ça fait vraiment mal aux agresseurs. J’ai été stupéfait lorsque l’infirmière s’est approchée de moi, hurlante, brandissant des copies de ce que j’avais écrit la veille, bien que je sois toujours en possession des originaux, pliés en quatre et mis dans la poche de ma blouse, rangés plus tard sous le traversin, dans l’illusion de garantir au moins un coin discret d’intimité à ma prose policée.
Mais non ! Mon coin était truffé de patients yeux électroniques disposés en étoile, pourvus de zooms puissants, c’était un lieu préparé pour qu’aucune transgression aux règles de la captivité, aucun disfonctionnement psychologique révélateur de perturbations dérivées du besoin compulsif de changer de genre littéraire – si je voulais survivre sans abandonner l’écriture – aucune manifestation de dignité professionnelle, n‘échappe à la commissaire du cas visiblement exemplaire que semble être celui de cet ami à vous qui signe – encore – Aureliano Viegas. Je commence juste à prendre conscience que le plus insignifiant de mes gestes ou de mes épanchements est observé en permanence de l’extérieur et qu’aucun détail n’échappe à l’analyse scientifique, même si toute l’équipe est absente. Il me devient évident que mes écrits ont été filmés pendant que je les rédigeais puis reproduits digitalement, le fait qu’ils soient parvenus intacts dans les mains de ma geôlière, appelons-la ainsi pour abréger, ne s’explique que par ce biais. Elle s’est jetée sur moi comme une bête féroce : « Si vous portez encore une fois atteinte à l’honneur de madame ma mère, que Dieu l’accueille en son repos éternel, la vie ici va devenir très triste pour vous, je vais m’occuper sérieusement de votre santé, je vous le garantis. » En guise de réponse, j’ai balbutié un « ce n’était pas mon intention…. » mal ficelé, et elle a attaqué brutalement : « Vous n’avez pas encore compris qu’ici vous ne pouvez pas avoir d’intentions ? Qu’avoir des intentions, ça signifie être libre de les mettre en pratique et qu’en ce moment vous êtes tout, sauf un homme libre ? Qu’est-ce qu’il va falloir faire pour le compreniez ? Augmenter les doses de chromoborre vert, qui est le plus efficace pour vous laver le cerveau ? C’est ça que vous voulez ? » Je lui ai tourné le dos et j’ai dit : « Va te faire foutre » Je me suis vite repenti de ces mots et du doigt dressé en forme de phallus duquel j’ai salué son arrogance mais j’ai résolu de les mettre par écrit pour que la censure scientifique mesure que je n’ai en aucune façon voulu manquer de respect à la Haute Autorité Séquestratrice (HAS) et que ma réaction n’a été qu’un acte irréfléchi de désobéissance excusé par le lieu commun : « c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase ». D’ailleurs…
Júlio Conrado, Desaparecido du Salon du Livre, Bertrand, 2001
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