Afonso Henriques : indépendance

Le cardinal vint de Rome par l’Espagne, et les Rois chez qui il passait l’honorèrent beaucoup. Et l’on dit au Roi dom Afonso:
- Sire, voici un cardinal qui vient à vous de Rome parce que vous êtes en mauvais termes avec le Pape à cause de cet évêque que vous avez fait.
Et le Roi dit:
- Je ne m’en suis pas encore repenti.
Et on lui dit:
- Sachez, Sire, que tous les Rois chez qui il passe ne manquent pas de lui baiser la main.
Et le Roi répondit:
- Nul cardinal si honorable à Rome ne viendra à Coimbra me tendre sa main à baiser sans que je la lui coupe, et il n’en mourra pas.
Et quand le cardinal arriva à Coimbra, il apprit ce que le Roi avait dit et eut très grand peur.
Le Roi refusa d’aller au devant de lui. Et lui, sitôt qu’il arriva en ville, se rendit au palais où était le Roi qui le reçut fort bien et lui dit :
- Cardinal, que venez-vous de Rome faire ici, car de Rome il ne m’est jamais rien venu, sinon du mal? Et quelles richesses m’apportez-vous de Rome pour ces attaques que je fais sans cesse contre les Maures? Monsieur le cardinal, si vous m’apportez quelque chose, donnez-le-moi, sinon passez votre chemin.
Et le cardinal dit:

- Sire, je suis venu ici pour vous montrer la foi de Jésus Christ.
Et le Roi lui dit :
- Il est sûr, cardinal, que nous avons ici d’aussi bons livres que vous à Rome, et nous savons nous aussi que le fils de Dieu est descendu du ciel et s’est incarné dans la vierge sainte Marie par l’œuvre du Saint Esprit et a été engendré par elle sans corruption, et qu’il est mort sur la sainte vraie croix pour racheter les pécheurs, et qu’il est ressuscité et monté au ciel pour s’asseoir à la droite du père d’où il viendra juger les vivants et les morts, et nous croyons aussi, comme vous les Romains, que la Sainte Trinité est le père, le fils et le saint esprit, trois personnes en une seule essence divine, et nous ne voulons rien d’autre de Rome.
Et après lui avoir dit toutes ces choses il ordonna qu’on le logeât et qu’on lui donnât tout ce dont il avait besoin. Et le cardinal, sitôt qu’il fut dans son logement, fit donner de l’orge à ses bêtes et appeler tous les clercs de la ville et au chant du coq il excommunia toute la ville et s’en fut de sorte que, quand le jour se leva, il avait déjà parcouru deux lieues. Et le Roi, après s’être levé, dit à ses chevaliers:
- Allons voir le cardinal.
Et ils lui dirent :
- Sire, il est parti d’ici et il vous a excommunié ainsi que toute votre terre.  Quand le Roi entendit ceci, il demanda qu’on lui donnât son cheval et se mit en selle, et tous ses nobles après lui avec maints autres chevaliers. Mais le Roi, comme il était un homme très brave et de grand courage, ne voulut attendre personne, et rattrapa le cardinal en un lieu qu’on appelle Vimeira. Et alors qu’il s’approchait de lui, il le prit par le collet et sortit son épée et voulut lui couper la tête, mais quatre chevaliers, qui étaient arrivés avec lui, lui dirent:
- Sire, par Dieu et par merci ne tuez pas le cardinal, car on dira à Rome que vous êtes hérétique.
Le Roi répondit:
- Il est sûr que vous lui rendez sa tête.
Et le cardinal, se voyant en si grand peur, dit au roi:
- Sire, ne me tuez pas, car je ferai toutes les promesses que vous voudrez.
Et le Roi lui dit:
- Alors je veux que le Portugal ne soit plus jamais excommunié durant ma vie, et que vous n’emportiez d’ici ni or, ni argent, ni plus de trois bêtes, et ceci je le veux de vous pour service rendu. Et ensuite je veux que vous m’envoyiez de Rome une lettre disant que ni moi ni le Portugal ne serons excommuniés de tous les jours de ma vie, car je l’ai gagné avec cette mienne épée. Et pour ceci je veux que vous laissiez ici en gage votre neveu que voici jusqu’à ce que vous m’envoyiez la lettre. Et si dans quatre mois vous ne m’avez pas envoyé la lettre je couperai la tête à votre neveu. 

Crónica geral de Espanha de 1344, (in Crónicas Breves de Santa Cruz de Coimbra)

Revenir à la page d’accueil