Cimetière imaginaire
*
Alors que j’errais dans le cimetière central de la capitale d’un pays imaginaire, je fus surpris par une pierre tombale qui disait :
« Ci-gisent deux squelettes qui ne sont jamais parvenus à se rencontrer mais qui auraient pu être très heureux. »
Plus loin, je lus une autre épitaphe sur une dalle elle aussi sans date:
Et à côté :
« Ici dort une vérité qui, réveillée, serait un énorme mensonge. » Finalement, il s’agissait d’un cimetière de grandes vérités immortelles. Une tristesse hors du commun m’envahit et je me mis à me répéter à moi-même : « Ne sois pas triste, ne sois pas triste… » Mais à partir d’un certain moment je sentis que cette voix ne m’appartenait plus. Et une tristesse encore plus profonde, encore plus obscure et plus dense, s’empara de moi. Pour quelqu’un que je ne connaissais pas et qui criait sa douleur de si près. Me sentant sans défense, je me mis en colère et je criai à la cantonade, férocement : « Assez ! » et je ressentis un soulagement bienheureux, une béatitude.
J’étais devant une énorme dalle de marbre blanc avec un moustique de deux mètres de haut et deux lettres dessous : C.S.
Je ne me pus m’empêcher de rire.
- Un homme étrange, dit une voix condescendante, il a acheté une concession au cimetière pour enterrer le moustique qu’il a tué le jour même de son enterrement. Et, bien sûr, il lui a donné un nom d’homme. Le cimetière était le plus beau des jardins.
« Le plus beau des jardins ? », pensai-je.
- Mais qui dit cette énormité ?
- Les hommes ne se corrigent jamais, même après la mort ! La lumière est descendue sur toi ! – on entendit une voix céleste.
- Je le sais bien, répondis-je, toujours en colère. Il n’y a pas longtemps à attendre avant le lever du soleil…
- Que tu es incorrigible dans ton entêtement !
Un projecteur m’inonda de lumière. Le gardien (ou le fossoyeur ?), qui m’observait avec hostilité, laissa tomber la clé du portail lorsque je lui demandai :
- C’est vous qui avez parlé à un chérubin ou un séraphin? Je ne connais pas bien la différence. Avant la mort.
- La mort n’existe pas. Hors d’ici !
- Vous vous trompez, dis-je. La mort existe aussi hors d’ici. Elle existe partout. Enfoncez-vous ça dans la tête.
D’abord il resta pétrifié, puis il se mit à se tâter le front comme s’il essayait de déchiffrer l’épitaphe d’une dalle plongée dans l’obscurité ; enfin, il fit demi-tour et poursuivit sa lecture en tâtant l’air, se déplaçant au rythme du déchiffrage jusqu’à ce que je le perde de vue.
Dimíter Ánguelov, Furacão no labirinto, Europa América, 1996
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