Archive pour décembre, 2009
Art poétique avec citation de Hölderlin
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Le poème lyrique est né d’un rosier. Je ne
dis pas que c’est la rose la plus haute, celle que tout le monde
voit, avant les autres, et pense à couper pour l’emporter. C’est
la rose ni blanche ni rouge, la rose pâle,
vêtue de la substance de la terre
celle qui prend la couleur des yeux qui la regardent, par
hasard, et qui accroche, comme si elle avait
des mains abstraites dans ses feuilles.
J’ai cueilli ce poème. Je l’ai mis dans l’eau,
comme la rose, pour qu’il flotte le long d’un fleuve
de poésie. Son corps, nu comme celui de la femme
que j’ai aimée lors d’un rêve obscur, a bu la sève
des lacs, les veines souterraines des humidités
ancestrales, et s’est ouvert comme le ventre de la
fleur. Il a emporté avec lui mes yeux,
dans une barque aussi profonde que celle de sa propre
mort.
J’ai embrassé ce poème. Je l’ai couché sur le sable
du rivage, couvrant sa nudité avec les branches
des arbustes du bord du fleuve. J’ai arraché les boutons
qui naissaient de ses seins, buvant sa couleur
verte comme les mares figées de l’automne. Je l’ai prié
de me parler, comme si lui seul savait encore
les dernières paroles de l’amour.
« (Métaphore filée d’un unique sentiment) ».
Nuno Júdice, Teoria geral do sentimento, Quetzal, 1999
à la fontaine
Jeune fille à la fontaine (Heures de Pierre Laval, XVème siècle)
Je suis allée, mère, laver mes cheveux
à la fontaine, et je les aime, eux,
et moi aussi, la belle.
Je suis allée, mère, laver mes boucles
à la fontaine, et je les aime, elles,
et moi aussi, la belle.
A la fontaine, amoureuse de mes cheveux
pour eux, mère, j’ai trouvé l’amoureux
et pour moi aussi, la belle.
Car, avant de m’en aller d’ici,
je suis amoureuse de ce qu’il me dit,
et de moi aussi, la belle.
João Soares Coelho, Cour d’Afonso III, puis de D. Dinis, 1248-1280
Poème de Noël
Poema de Natal, Vinicius de Moraes (Brésil)
C’est pour ça que nous sommes faits:
Pour nous souvenir et qu’on se souvienne de nous
Pour pleurer et faire pleurer
Pour enterrer nos morts -
C’est pourquoi nous avons les bras longs pour les adieux
Des mains pour cueillir ce qu’on nous donne
Des doigts pour creuser la terre.
Ainsi sera notre vie:
Une après-midi toujours à oublier
Une étoile qui s’éteint dans les ténèbres
Un chemin entre deux tombeaux -
C’est pourquoi nous devons veiller
Parler bas, marcher léger, voir
La nuit dormir en silence.
Il n’y a pas grand-chose à dire:
Une chanson au-dessus d’un berceau
Un vers, peut-être d’amour
Une prière pour celui qui s’en va -
Mais que cette heure n’oublie pas
Et que nos cœurs par elle
Se laissent faire, graves et simples.
Car nous sommes faits pour ça:
Pour l’espérance en un miracle
Pour la participation de la poésie
Pour voir le visage de la mort -
Soudain nous n’espérerons plus rien…
Aujourd’hui la nuit est jeune; de la mort, nous naissons,
Seulement, intensément.
la maison d’Hercule
Et le roi leur demanda quelle était cette maison dont ils lui parlaient ou pourquoi il devrait y apposer son cadenas. Et ils lui dirent :
- Seigneur, nous te le dirons de très bon gré, car nous savons toute la vérité. Sache que, quand le grand Hercule passa par l’Espagne et y réalisa les exploits que tout le monde connaît, il fit bâtir à Tolède une maison si ingénieuse et si subtile que nous ne pourrions te dire comment elle fut faite ni par quel sortilège. Cette maison est toute ronde et, en la voyant, seigneur, elle te semblera rien d’autre qu’une cuve élevée sur son couvercle. Et nous pouvons te dire en vérité que maints hommes ont tenté de jeter une petite pierre au-dessus de cette maison ; et jamais nous n’en avons vu aucun qui pût la faire passer de l’autre côté. Nous pouvons t’assurer que tu ne trouveras au monde aucun homme qui par sa connaissance puisse te dire comment elle est faite à l’intérieur. Mais, ce que nous voyons de son extérieur, cela nous pouvons te le dire.
Sachez que dans toute la maison il ne se trouve pas une pierre qui ne semble plus grande que la main d’un homme ; et nous voyons bien que presque toutes sont en marbre. Elles sont si claires que c’est merveille, et de tant de belles couleurs variées qu’on peut difficilement penser qu’elles ne sont faites que de deux ou trois blocs unis.
La paume et la main
João Pedro Pais, A palma e a mão
J’ai usé plus que les mots
dans des rêves qui étaient les tiens
et de la poussière sous tes pas
j’ai fait les routes et les cieux
J’ai inventé le vent et les rues
je suis devenu fou dans tes bras
et de mes phrases nues
j’ai écrit des liens sur ton corps
Et si tu pars ce matin
laisse l’ombre et le sol
cette nuit toi et moi nous sommes la paume et la main
Et le nom que je t’ai donné
tu sais où te réveiller
demain je ne sais pas
qui va t’enlacer
et alors tu reviens du néant
sans péché ni pardon
cette nuit toi et moi nous sommes la paume et la main
il vient de loin ton chemin
grâce à lui en moi c’est toujours le printemps
cette nuit toi et moi nous sommes plus que la raison
je suis un monde seul
il t’est donc facile de me dire non
reviens-moi cette nuit pour que nous soyons la paume et la main
Cascais
L’étreinte du vent et de l’eau donne naissance à de superbes vagues. Ces enfants agités et coléreux tiennent mon regard par leur beauté. Ils calment mon esprit dans un mouvement fluide, liquide, et écumeux. Les Vagues embrassent la Roche, et s’en séparent brutalement dans un fracas de douleur et d’amour. Elles reviennent et repartent. Mon esprit est calme sous l’éclat de ce miroir agité. Je ne pense à rien. Ecran naturel dont je suis l’unique public à cette heure-ci . Reflet de la vie.
O abraço do vento e da água, dá nascença a ondas magníficas Crianças agitadas e nervosas que apanham o meu olhar por tanta beleza, e calmam o meu espírito num movimento fluido, líquido, e espumoso. As Ondas abraçam a Rocha, e são brutalmente separadas num estrondo de dor e de amor… Vão e vem. Calma, em frente deste espelho deslumbrante e agitado, não penso em nada. Écran natural único público à esta hora.. Reflexo da vida
Texte et photgraphies de Fatima Leitao