Art poétique avec citation de Hölderlin
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Le poème lyrique est né d’un rosier. Je ne
dis pas que c’est la rose la plus haute, celle que tout le monde
voit, avant les autres, et pense à couper pour l’emporter. C’est
la rose ni blanche ni rouge, la rose pâle,
vêtue de la substance de la terre
celle qui prend la couleur des yeux qui la regardent, par
hasard, et qui accroche, comme si elle avait
des mains abstraites dans ses feuilles.
J’ai cueilli ce poème. Je l’ai mis dans l’eau,
comme la rose, pour qu’il flotte le long d’un fleuve
de poésie. Son corps, nu comme celui de la femme
que j’ai aimée lors d’un rêve obscur, a bu la sève
des lacs, les veines souterraines des humidités
ancestrales, et s’est ouvert comme le ventre de la
fleur. Il a emporté avec lui mes yeux,
dans une barque aussi profonde que celle de sa propre
mort.
J’ai embrassé ce poème. Je l’ai couché sur le sable
du rivage, couvrant sa nudité avec les branches
des arbustes du bord du fleuve. J’ai arraché les boutons
qui naissaient de ses seins, buvant sa couleur
verte comme les mares figées de l’automne. Je l’ai prié
de me parler, comme si lui seul savait encore
les dernières paroles de l’amour.
« (Métaphore filée d’un unique sentiment) ».
Nuno Júdice, Teoria geral do sentimento, Quetzal, 1999