un mariage réussi
Ayant appris à rester silencieux dès leur première rencontre, ils n’ont plus jamais eu de problèmes par la suite. Trente-cinq ans de mariage et pas un seul problème. S’ils sortent pour dîner, ils s’assoient à la table que l’employé leur désigne et ne perdent pas de temps à dire qu’elle est bonne ou que la vue est magnifique. Ils ont appris l’art du silence à leur première rencontre. Devant le menu qu’on leur présente, ils disent l’essentiel, ils ne sont pas comme d’autres couples qui s’obligent à des commentaires sur le filet de veau aux trois poivres sur lit de purée de pommes nappé d’orange au cointreau, ou sur les suprêmes de porc en feuilleté délicieux aux éclats d’amande, ils ne vont jamais au-delà de l’essentiel, ils choisissent du veau, du porc, ils choisiraient même si, veau tué avec un coutelas aiguisé après choc électrique et suspension par une patte pour éviter le contact avec le sol, ou porc né et élevé sans avoir jamais vu un rayon de soleil et transporté de façon barbare en camion pour l’abattage, ils ne disent que l’essentiel, veau, porc, ils savent que les détails sont trompeurs, c’est pourquoi ceux-ci ne les intéressent pas.
Leur mariage a trouvé dans le silence son meilleur allié. Ils commentent rarement quoi que ce soit et ne devinent pas, aucun intérêt, ce que l’autre pense. Dans toute relation, la connaissance est une extravagance, et la compréhension une encore plus grande. Leur repas fini, aucun des deux n’aiment regarder ce qui reste dans les plats, une sorte de nausée qu’ils ne savent expliquer. Ils se ressemblent beaucoup dans ces détails, les seuls vraiment importants pour la durée d’un mariage. En sortant du restaurant, ils ont toujours un chauffeur qui les attend. Confortablement installés à l’arrière, ils regardent tout à une vitesse sûre, dans une température constante, et ne parlent jamais même s’ils s’étonnent d’un immeuble en construction ou d’un autre qui s’est effondré, de toutes les règles que comporte leur union, la plus importante, c’est celle du silence. En second, c’est que les confidences tuent le mariage, ou, énoncé d’autre façon, que les secrets sont la colonne vertébrale du mariage. Comment Alice pourrait-elle confier à Afonso les pensées qui tournent dans sa tête comme des chevaux de bois sur un manège ? Comment Afonso pourrait-il confier à Alice les pensées qui tournent dans sa tête comme des chevaux de bois sur un manège ?
Dulce Maria Cardoso, O chão dos pardais, Asa, 2009, inédit en français.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.