espoir déçu
Un soir, dans le jardin d’une maison abandonnée, apparut, comme dans un conte réaliste, un chien. Les premiers jours il se montra très curieux d’examiner sa nouvelle solitude – il se couchait et observait les choses autour de lui. Ensuite, il se mit à se promener d’un côté à l’autre et comme il ne rencontra personne il se sentit, peut-être, l’unique chien du monde. Un certain orgueil d’être le gardien et, par ce qu’il n’y en avait pas d’autre, le maître de ce petit désert, fit accélérer la circulation sanguine de ses oreilles de plus en plus attentives. Dans les jours qui suivirent il se déplaça méthodiquement d’une extrémité à l’autre comme pour vérifier la nature de son isolement – toujours la tête basse et l’air concentré. Il lui sembla, finalement, que cet espace de mouvement lui apportait une grande solitude. Il se coucha en boule pour se sentir plus confortable mais il lui manquait les limites de la barrière et du mur. Et il aboya, effrayé. Ah, il n’était pas seul ! Et il aboya encore une fois. Il attendit, mais il n’y eut pas de réponse. Il aboya, cette fois pour appeler son maître virtuel. Fatigué, il poussa un jour son premier hurlement. La même illusion se répéta – prendre son hurlement pour un hurlement étranger – et il se sentit réconforté dans sa clameur.
Mais ce hurlement se faisait de plus en plus proche jusqu’au moment où il resta pris entre ses dents. Je parvins encore à voir comment ce dernier hurlement s’échappa de sa gueule en un petit filet de vapeur, en spirale. Apparut sa maîtresse, et sa solitude disparut aussi traîtreusement qu’il arrive aux hommes.
Cinq ou six mètres en contrebas de ce jardin un petit chien, également abandonné, continuait son infatigable labeur en creusant la terre comme s’il cherchait une compagnie que quelqu’un aurait enterrée méchamment. Mais jamais un gémissement, jamais un aboiement, jamais un hurlement. Juste l’accélération frénétique des mouvements, jusqu’à l’épuisement. Le voisinage invisible de l’autre solitude n’avait pas altéré son rythme de vie. Mais lorsque les hurlements de l’autre cessèrent et que se succédèrent les jours et les nuits pendant lesquels il n’entendait que le rythme de son travail inutile, quelque chose le fit s’arrêter. Il regarda le ciel, remua la queue en signe de satisfaction inattendue, mais rien ne se fit entendre. Cette satisfaction avait fait disparaître le sens de son effort. Un hurlement gigantesque, des centaines de fois plus grand que son corps, fit trembler jusqu’aux insectes les plus insensibles. C’était la solitude qu’il avait déterrée et qui lui tombait maintenant dessus de tout le poids qu’elle avait accumulé.
Dimiter Anguelov, Sol oposto, Ática, 2000
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