Tradition
Gabriela Mendes, Mindelo (Cap Vert), Tradição
Paroles et musique: Tibau Tavares, arrangements: Rufino Almeida, dit Bau
Gabriela Mendes, Mindelo (Cap Vert), Tradição
Paroles et musique: Tibau Tavares, arrangements: Rufino Almeida, dit Bau
Mon coeur pleure.
Je sors de la ville et j’erre
Par les champs, par la plaine,
Les rizières et les forêts.
Un vent brusque et puissant
Secoue les arbres.
Les oiseaux chantent,
Les lions rugissent,
Les éléphants barrissent.
Je sens l’odeur nauséabonde
Des feuilles pourries
L’amertume est de plus en plus forte,
Je suis seul, seul et perdu
Dans la forêt africaine.
Les animaux sauvages n’entendent pas ma voix ;
Je parle avec le vent,
Les fleurs,
Les collines.
Une mélancolie fatale s’abat sur moi,
Seul le vent me caresse.
Je suis loin des hommes,
Loin de mes semblables.
De mes amis,
Très loin,
Loin du genre humain :
Seul,
Seul,
Seul.
António Baticã Ferreira (Guinée-Bissau), né en 1939, Poesia e ficção
Chutes sur le fleuve Lurio (photo http://mocambique.blogs.sapo.pt/)
Ils se dévisagent, les deux militaires, et se méfient immédiatement l’un de l’autre. Zvobo, à cause de la tenue négligée du commissaire (il ignore les nombreuses fatigues si imprévues qu’il a vécues ces derniers temps) ; Demi-Pluie, à cause de cet uniforme « goutte-de-pluie » impeccable qui suscite chez lui plus de mépris que de crainte et lui rappelle d’autres temps et d’autres circonstances.
Novembre 1973. C’est à cette époque-là que Demi-Pluie était arrivé dans la région, déjà guerrier d’une autre guerre antérieure à celle-ci, tendu, impatient de tirer, déjà porteur de ce surnom qui lui collerait à la peau toute sa vie. Son groupe était entré par les terres du chef Nhacaroto et avait descendu le fleuve Metamboa, où ils avaient failli être repérés par une patrouille portugaise. Douze combattants, certains très expérimentés (les uns venaient de Katur, d’autres de Capoche), plus huit comrades zimbabwéens qu’il fallait emmener à la frontière de leur futur pays. Il s’était mis à pleuvoir tôt cette année-là, et il avait plu durant presque tout le trajet. Le chef de groupe, le camarade Mandala (Sept-Coups), était en colère pour deux raisons. La première, qu’il partageait avec les autres, était cette pluie chaude et persistante qui faisait que les vêtements, fumants, collaient sans cesse au corps. La seconde était liée aux comrades qui les accompagnaient. Ceux-ci refusaient de quitter leurs bottes alors que l’ordre était de marcher pieds nus afin que leurs empreintes se confondent avec celles des paysans et des pêcheurs. Les Zimbabwéens disaient qu’ils étaient soldats et que les soldats marchent toujours avec leurs bottes. Mandala avait débattu intérieurement pendant quelques jours, cherchant quelle attitude adopter. Ils étaient en territoire mozambicain et tant qu’ils n’avaient pas atteint la frontière du Sud ils lui devaient obéissance. Mais, d’un autre côté, ces comrades étaient très obstinés et Mandala ne voulait pas déclencher un conflit qui, dans ces circonstances, pourrait avoir de graves répercussions. De sorte que la décision fut sans cesse ajournée et qu’ils poursuivirent ainsi : les Mozambicains pieds nus, les Zimbabwéens bottés (ils finiraient par rester comme ça, pense à présent Demi-Pluie, en regardant l’uniforme impeccable du lieutenant Zvobo).
João Paulo Borges Coelho, As duas sombras do rio, Caminho, 2003
(photographie: www.quartiersombre.com)
J’habite
dans les quartiers sombres du monde
sans lumière ni vie.
Je vais par les rues
à tâtons
appuyé à mes rêves informes
en trébuchant dans l’esclavage
à mon désir d’exister.
Ce sont des quartiers d’esclaves
des mondes de misère
des quartiers sombres.
Où les envies se sont diluées
et où les hommes se sont confondus
avec les choses.
Je marche à l’aveuglette
par les rues sans lumière
inconnues
encombrées de mystique et de terreur
en donnant le bras aux fantômes.
La nuit aussi est sombre.
Agostinho Neto (Angola), » Noite », in Sagrada Esperança, Sá da Costa, Lisbonne, 1974
José Afonso, Os vampiros, dernier concert en public au Colisée en 1983
Dans le ciel gris sous l'astre muet
Battant des ailes dans la nuit secrète
Ils viennent en bandes avec leurs pieds velus
Sucer le sang frais du troupeau ... Ils mangent tout, ils mangent tout
Ils mangent tout, et ne laissent rien.
Vincent Van Gogh, Café de nuit
Nous buvions et nous rêvions toujours dans le même trou, dans ce café de la Miséricorde. C’était un atroce mensonge – nous rêvions avec une fausse tristesse et une fausse allégresse. C’était une exaltation que nous jugions pathétique et stupide lorsque nous la voyions chez les autres. Mais à quoi sert l’amitié ? – à tolérer et être toléré. Et ainsi durant des dizaines d’années, jusqu’à ce que notre rêve devienne caduque et meure. Nous le tuions à petit feu avec toute sorte de poésie – du moins le pensions-nous. Mais le plus dramatique est arrivé ensuite – lorsque l’un d’entre nous, au bout de quatre ou cinq vodkas, a demandé subitement : « L’un d’entre vous était-il capable de penser que c’était un rêve qu’on a mastiqué des années de suite jusqu’à avoir perdu les dents et la mémoire ?
- Comment veux-tu que nous le sachions si nous sommes, d’après toi, sans mémoire ?
- Nous avons perdu la mémoire parce que ça n‘était pas un rêve – c’était toujours un intervalle entre deux verres, entre deux âneries, entre deux soupirs de fausse inspiration ou de fausse nostalgie, enfin, entre deux intervalles. Ça a été un hiatus, une lacune circulaire dans notre imagination.
- Comme c’est facile de parler de hiatus ! Ça veut dire que nous avons eu une vie spirituellement discontinue, sans liens, sans objectif.
- Des liens, il y en a eu. Je m’en souviens. Un seul – celui des hiatus camouflés par les gestes, les éclats de rires, la répétition. Et maintenant, quand enfin paraît le volume des Anciens Poètes du Café Miséricorde – qu’est-ce que ça va signifier ? L’anthologie du hiatus, la fascination de l’absence ?…
-Tout est sujet à interprétation. C’est elle qui importe plus que n’importe quelle poésie. La poésie n’a été qu’un prétexte. Le problème n’est pas là. Comment peux-tu comparer l’interprétation avec quelque chose qui n’existe pas mais que tu appelles « poésie » ? Où est-elle, cette beauté toujours absente ?
- La poésie est absente par nature. Elle ne supporte pas les lieux, elle s’associe au mouvement.
Il y a eu un instant de silence qui exprimait en même temps l’admiration, l’étonnement, la crainte et la colère. Mais rien de comparable avec le langage des verres, avec les gestes que nous faisions avec eux. Non. Un assoupissement, une somnolence heureuse finissait toujours par rétablir l’équilibre sans éteindre totalement les gestes, les rituels d’intention, de surprise et d’inspiration.
Je les ai laissés là au milieu de la brume et je suis sorti. Je n’y suis jamais retourné.
Dimíter Ánguelov , Trinta contos até ao fim da vida, &etc, 1998