Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Désaccord

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 22 février, 2010 @ 8:44

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Chutes sur le fleuve Lurio (photo http://mocambique.blogs.sapo.pt/)

 

Ils se dévisagent, les deux militaires, et se méfient immédiatement l’un de l’autre. Zvobo, à cause de la tenue négligée du commissaire (il ignore les nombreuses fatigues si imprévues qu’il a vécues ces derniers temps) ; Demi-Pluie, à cause de cet uniforme « goutte-de-pluie » impeccable qui suscite chez lui plus de mépris que de crainte et lui rappelle d’autres temps et d’autres circonstances.
Novembre 1973. C’est à cette époque-là que Demi-Pluie était arrivé dans la région, déjà guerrier d’une autre guerre antérieure à celle-ci, tendu, impatient de tirer, déjà porteur de ce surnom qui lui collerait à la peau toute sa vie. Son groupe était entré par les terres du chef Nhacaroto et avait descendu le fleuve Metamboa, où ils avaient failli être repérés par une patrouille portugaise. Douze combattants, certains très expérimentés (les uns venaient de Katur, d’autres de Capoche), plus huit comrades zimbabwéens qu’il fallait emmener à la frontière de leur futur pays. Il s’était mis à pleuvoir tôt cette année-là, et il avait plu durant presque tout le trajet. Le chef de groupe, le camarade Mandala (Sept-Coups), était en colère pour deux raisons. La première, qu’il partageait avec les autres, était cette pluie chaude et persistante qui faisait que les vêtements, fumants, collaient sans cesse au corps. La seconde était liée aux comrades qui les accompagnaient. Ceux-ci refusaient de quitter leurs bottes alors que l’ordre était de marcher pieds nus afin que leurs empreintes se confondent avec celles des paysans et des pêcheurs. Les Zimbabwéens disaient qu’ils étaient soldats et que les soldats marchent toujours avec leurs bottes. Mandala avait débattu intérieurement pendant quelques jours, cherchant quelle attitude adopter. Ils étaient en territoire mozambicain et tant qu’ils n’avaient pas atteint la frontière du Sud ils lui devaient obéissance. Mais, d’un autre côté, ces comrades étaient très obstinés et Mandala ne voulait pas déclencher un conflit qui, dans ces circonstances, pourrait avoir de graves répercussions. De sorte que la décision fut sans cesse ajournée et qu’ils poursuivirent ainsi : les Mozambicains pieds nus, les Zimbabwéens bottés (ils finiraient par rester comme ça, pense à présent Demi-Pluie, en regardant l’uniforme impeccable du lieutenant Zvobo).

João Paulo Borges Coelho, As duas sombras do rio, Caminho, 2003

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