L’émeute
Cathédrale St Pierre de Genève
Le bruit de la foule se répand dans la paix de la ville de Genève.
Les cris fous de la petite foule réunie au Bourg-de-Four troublent le dimanche, les bons bourgeois regardent de biais et interrompent un instant leur promenade dominicale où ils profitent de la chaleur de l’été suisse dans les rues étroites de la vieille ville.
Oui, c’est dimanche. Un jour qui n’a pas l’habitude, d’ailleurs, de ce genre d’agitation, les protestants et les catholiques en sont d’accord, bien que sur le reste il exite plus de divergences que de concordances. Et si les bazars et les boutiques, les tentes et les ateliers qui entourent le reste de la ville sont fermés pour célébrer le jour saint, la circulation des Genevois dans les rues n’est pas moindre, car la chaude sérénité de cette matinée semble plus propice à des promenades en famille qu’à des disputes théologiques.
Mais les temps changent ; comment Genève pourrait-elle se soustraire à ces changements? Depuis des mois, les papistes et les protestants se battent, crient et se disputent pour le contrôle de la ville, qui semble chaque jour qui passe revenir davantage aux adeptes de Luther et Calvin qu’aux partisans du pape Paul III et de l’évêque savoyard qui le représentait dans la région. Qui le représentait, je dis bien, car il y a deux ans déjà que, effrayé par les clameurs et les progrès de la Réforme, l’évêque Pierre de la Baume – nommé par la Maison de Savoie pour représenter la noblesse papiste et la religion romaine à Genève – a fui la ville, la laissant à la merci de ceux-là mêmes qui maintenant, en ce dimanche davantage consacré aux promenades en famille qu’à des discussions au sujet du culte, se rassemblent au Bourg-de-Four en poussant des hauts cris, animés de fermes intentions.
- Les saints ne sont pas nos procurateurs !
La phrase, d’abord murmurée, puis prononcée à voix haute, pour être enfin hurlée à pleins poumons, s’impose au-dessus d’autres que la foule réunie dans le centre urbain crie en se déplaçant ; et à mesure qu’elle avance, l’émeute grossit sur le chemin qui la conduit à la cathédrale Saint-Pierre. A sa tête marche un certain Claude Bernard, en qui beaucoup reconnaissent une énorme stupidité et d’autres croient voir une grande innocence, venues toutes deux de la verdeur de son âge et de la sincérité réformatrice qui le guide. – Les saints ne sont pas nos procurateurs !
La foule chemine, la foule est lente mais ferme; ils ne sont pas nombreux, ils se comptent par quelques dizaines, ils sont purs et sincères, et presque tous très jeunes, et tous adeptes convaincus des nouvelles idées protestantes qui viennent du Nord et se sont répandues ces dernières années sur les terres allemandes, nordiques et suisses comme une tache jaune d’huile d’olive sur un tissu de lin.
- Les saints ne sont pas nos procurateurs !
A présent d’autres les rejoignent, quelques jeunes qui courent dans la Rue des Peyroliers à la rencontre de la petite foule, et d’autres qui viennent de la Rue de Saint-Leger, et d’autres encore, moins jeunes ceux-là, rassemblés à la porte du Couvent des Clarisses, où le nouveau Conseil de la Ville projette d’installer l’Hôpital central qui se trouve pour l’instant Rue de la Vallée, tout près d’ici.
L’âge ne compte plus, ils forment une foule. Mais il est vrai qu’elle est encore surtout composée de jeunes, car c’est ainsi qu’est la jeunesse…
- Audacieux et courageux. Que Dieu les protège.
…car c’est ainsi qu’est la jeunesse; et ils sont reconnus dans cette jeunesse par quelques personnes qui les saluent, évangéliques, on le sait.
Ils sont en majorité encore jeunes, car c’est ainsi qu’est la jeunesse…
- Hérétiques et fous. Que le démon les emporte !
… car la jeunesse est ainsi; et ils sont insultés à voix basse par quelques autres, catholiques, ceux-là, il faut le dire.
Même quelques bourgeois se joignent à eux, mais les jeunes sont encore en majorité, comme je l’ai dit; la foule représente maintenant l’avance protestante dans la ville. Et beaucoup d’évangéliques plus prudents froncent le sourcil et font la moue de voir en face d’eux cette force téméraire …
Sérgio Luís de Carvalho, O Retábulo de Genebra, Campo das Letras, 2008
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