Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour le 10 mars, 2010

une leçon

Posté : 10 mars, 2010 @ 7:03 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 2 commentaires »

brigand.jpg

www.lamortdanslart.com

Eugénio avait beaucoup de peine pour son père, mais il ne parvenait pas à l’aimer. Il savait que les enfants doivent aimer leurs parents. L’institutrice parlait en classe d’ « amour filial », racontait des histoires, donnait des exemples. Mais, pour autant qu’il s’efforçât, Eugénio ne réussissait pas à dépasser la pitié. Il avait pitié de son père. Parce qu’il toussait, parce qu’il soupirait, parce qu’il se plaignait, parce qu’il s’appelait Ângelo. Ângelo est un nom pour gens malheureux, un nom d’assassiné. Eugénio ne pouvait regarder son père sans se rappeler la septième leçon du Second Livre de Lecture.
[...]
Ângelo était un vieux portugais très travailleur et honorable, agriculteur aux environs d’une petite ville du Portugal. Un jour, il alla à la ville, emportant avec lui un gros chargement de céréales, fruit de son labeur, afin de le vendre à la foire, qui avait lieu une fois par mois.
Ayant fait de bonnes affaires, il rentrait à sa masure, rapportant des tissus et d’autres objets dont manquait sa famille idolâtrée.
Un brigand, qui l’avait suivi intentionnellement pendant la foire et l’avait vu vendre ses céréales, alla l’attendre sur la route de la montagne, pour l’assassiner et le voler.
Alors que le pauvre vieux marchait, content, sur la route qui menait à sa chaumière, le malfaiteur lui saute dessus tout à coup et le poignarde.
Ângelo put à peine prononcer ces mots, en exhalant son dernier soupir : « Maudit ! Qui blesse par le fer, par le fer sera blessé ! »
En vain la police chercha-t-elle à savoir qui était l’assassin d’Ângelo. Il n’y avait pas de témoins et le crime resta impuni. Un an plus tard, un brigand, à la même foire, provoqua une bagarre et il fut poignardé.
Le brigand, sachant qu’il allait mourir, avoua être l’auteur de l’assassinat du pauvre Ângelo et dit :
- Il a bien dit à l’heure de sa mort : « Qui blesse par le fer, par le fer sera blessé ! »
L’histoire avait eu chez Eugénio des échos mystérieux. Chaque fois qu’il la relisait, il prêtait à l’assassiné les traits de son père. [...] Comment était-ce possible qu’il existe dans le monde des gens qui avaient le courage de poignarder d’honnêtes travailleurs comme le pauvre Ângelo ? Eugénio imaginait la tristesse de la « famille idolâtrée » qui avait sûrement fini dans la misère, il voyait en pensée le petit âne trottant désemparé sur la route, ou alors près de son maître mort, lui léchant le visage avec amour. « Qui blesse par le fer, par le fer sera blessé ». Ces mots évoquaient dans son esprit d’autres que sa mère avait coutume de prononcer : « Dieu punit ».

Erico Veríssimo (Rio Grande do Sul), Olhai os lírios do campo, Livros do Brasil, 1938

Revenir à la page d’accueil
analyse fréquentation web