La pluie
Il attendait Eva dans un café. Il était impatient et battait la mesure sur la table avec ses doigts. Cela aurait pu déranger les autres mais il y avait quatre jours qu’il pleuvait sans interruption et les gens ne s’occupaient que de la pluie. Lui et Eva ne s’étaient pas vus depuis un mois et Eva était en retard comme d’habitude. Il essaya de se calmer en regardant la pluie qui battait sur la vitre poussée par le vent. La pluie était faite de nombreuses gouttes rondes qui perdaient rapidement leur forme et glissaient sur la vitre en formant une rayure. Des rayures d’eau sur la vitre. Eva devait être coincée dans les embouteillages mais pour une fois il ne pouvait pas attendre aussi longtemps qu’il le fallait. Une voiture klaxonna un homme qui traversait la rue. Une femme s’abrita sur le seuil d’une boutique en regardant désespérément vers le ciel. Un autre protégea son fils en serrant sa grosse veste et en sortant son capuchon, l’enfant se plaignit parce que la laine lui écorchait la peau. Les jours de pluie les gens étaient plus beaux et vus de l’intérieur du café ils étaient des poissons dans un aquarium.
Eva apparut enfin. Elle portait une veste grise qui se mariait avec le jour. Elle sentait le parfum coûteux et le tabac. Elle lui dit bonjour discrètement et demanda une citronnade chaude.
Ils continuaient à se comporter comme des amants. En s’asseyant Eva quitta ses gants en tirant lentement sur les doigts. Elle avait fait exactement le même geste le dernier jour dans le quartier, quand ils s’apprêtaient à rendre les clés de la maison. Les gants n’étaient pas faits de ce cuir fin, ils étaient en grosse laine et ils étaient restés posés sur un carton. Il les avait gardés sans savoir ce qu’il devait en faire. Les mains d’Eva étaient toujours les mêmes, des mains maigres de cire, encore plus fausses à cause du petit diamant. Eva laissa ses mains posées sur la table du café. Ils se regardèrent encore mais ils détournèrent rapidement le regard. Ils ne pouvaient pas risquer que leurs yeux les dénoncent.
Eva parla enfin, les lèvres de grenade, la voix posée, les mots détachés, je suis en retard à cause de la pluie, je n’aime pas du tout ce temps-là, c’est horrible, tu as vu depuis combien de jours il pleut sans arrêt ? Et les nouvelles disent que ça va continuer, un mois entier de pluie. Moi je m’en fiche, si ça se trouve je préfère même ce temps, répondit-il, j’aime moins les jours clairs, le ciel très bleu. Eva lui répondit comme si elle n’avait pas entendu, ce matin je suis allée nager, ça me fait du bien de nager, il ne répondait pas, il désigna la rue, ils sont déjà en train de faire les décorations de Noël, ils mettent les lumières de plus en plus tôt,
Dulce Maria Cardoso, Coeurs arrachés (Campo de sangue), Phébus, 2004
4 commentaires »
Flux RSS des commentaires de cet article.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.
C’est vraiment étrange et je ne m’explique pas.
J’avais à l’époque tenu se live dans mes mains, lut quelques passages et aprecié au point de me décider de l’acheter presto illico.
Ensuite, j’ai été un peu déçu lors de la lecture complète du roman.
Là, votre extrait m’a vraiment beaucoup touché à nouveau, au point d’être allé le rechercher dans ma bibliothèque pour relire des passages le week end prochain
Bizarre …
Moi, quand je l’ai eu entre les mains, j’ai mis longtemps à y « entrer ». Je ne voyais pas trop (après le prologue alléchant) où allait cette histoire d’homme avec son ex à la terrasse d’un café sur la plage. Mais après plusieurs essais, je l’ai dévoré d’un trait.
Et cet amour qui coulait de source , en gouttes de pluie sur la vitre s’écoule , temps révolu des promesses dîtes après les ébats d’abandon de nous-mêmes , la tête posée au creux de l’épaule accueillante de l’autre si soi en l’instant .
Devrions nous effacer d’un revers de la main , gouttes d’eau amère qui ressemblent au chagrin , ces moments qui enchantent encore nos souvenirs taquins ?
Merci pour ces belles phrases.
La version 2 arrive…