L’offensive finale
Embarquement des soldats portugais à Lisbonne (L’illustration, 21 avril 1917)
En face, les Allemands seront accrochés à leur casque et tapis dans les trous et les abris à attendre la fin de la canonnade pour que commence l’offensive d’infanterie habituelle ; de ce côté-ci, ce sont les Français et les Américains qui se postent le long des lignes avancées en attendant de même que l’artillerie cesse pour débuter l’attaque, ivres de peur, sur les ordres de généraux qui croient, une fois de plus, que :
« Cette fois, c’est la bonne. »
Et tout ça chronométré à la minute, puisque le passé est fait d’offensives débutées trop tôt, où les soldats ont été bombardés par leur propre artillerie, entraînant des pertes innombrables provoquées par le « feu ami » – sans doute le plus fabuleux euphémisme du vocabulaire militaire.
De son poste d’observation près des tranchées franco-américaines des premières lignes, Blanc constate que, du moins en esprit, tout ça n’est pas si différent de ses jeux d’enfants dans la Forêt de Benfica, où les gamins couraient entre les arbres avec des bâtons en guise de fusil et des cannes faisant office de sabre de cavalerie, au milieu du vacarme et les railleries des plus durs assurant à leurs copains qu’ils n’étaient pas morts du tout, car le coup qui leur était destiné…(parti d’un bâton tordu accompagné d’un « pan » pour rendre la chose plus semblable à la réalité des batailles)
… les avait manqué.
Peut-être y avait-il eu plus de massacres dans la forêt de Benfica que dans la ville de Verdun pendant ces cinq années de guerre.
- S’il y en a un qui préférerait être ailleurs, c’est bien moi !
Blanc entend à peine Atwood à côté de lui. Dans ses jumelles, il voit une ligne constante de clarté tout au long du front, une ligne blanchie et oscillante, qui vise, comme toujours, à préparer le terrain avant de chaque grande offensive, un ligne qui, également comme toujours, n’aura aucun effet notable, car les soldats ennemis se pelotonnent dans leurs trous longuement creusés, s’en tirant plus ou moins mal avec quelques dommages mineurs, comme la surdité temporaire, la peur ou les céphalées. Pourtant, ces dommages tendront à être oubliés quand, une fois sortis des tranchées, les Allemands appuieront sur la gâchette de leurs mitrailleuses Maxim à raison de six cents balles par minute contre l’infanterie qui marchera, en hurlant, contre eux. Seule la peur demeure, bien sûr, mais à celle-ci, mal ou bien, tous commencent à s’habituer.
- Vous n’avez pas besoin de rester, Teles, je vous l’ai déjà dit. Pourquoi n’allez-vous pas vers les installations des secondes lignes ?
Teles se tapit à intervalles réguliers, surtout quand le grondement des plus gros canons dépasse tout le reste, lui rappelant, comme on l’imagine, ses souffrances à la Lys aussi nettement que Blanc se souvient ses années au Collège Militaire Royal, avec la troupe qui jouait à la bataille dans les bois.
- Mais je veux être ici, Capitaine. Si vous avez besoin de moi…
Sérgio Luís de Carvalho, O destino do Capitão Blanc, Planeta, 2009.
Une plaque commémorative à Loulé (Algarve)