Un bon mari
Aquarelle de Ana Diogo (détail)
Carlos regarde Noémia
Je rêve. Ce n’est pas ma femme, ce n’est pas possible. Noémia n’a jamais élevé la voix contre moi. Elle est toujours si réservée… Où est ma Noémia, que j’ai libérée des griffes paternelles et à qui j’ai montré le monde ? A qui j’ai donné le monde. Oui, je lui ai donné un mariage – n’était-ce pas ça qu’elle voulait ? – je lui ai donné un foyer, des enfants… Bon sang ! Où est-ce que je me suis trompé ? Quand on s’est mariés, je lui ai dit : j’ai mes aventures en dehors, mais ne t’inquiète pas, tu es ma femme, tu ne manqueras de rien… Elle ne peut pas dire qu’elle n’a pas été prévenue. Qui est-ce qui a pu lui mettre ces idées dans la tête ?
Extrait du journal de Noémia
Cet homme m’étouffe, il me vole mon air, il paralyse mes mouvements. La première fois que je suis sortie de la maison c’était avec lui. Il m’a appris à danser. J’ai aimé ça, bien sûr. Nous étions sur la plage, mais je voulais seulement rester assise sur le sable, à regarder mon sorbet rouge et bleu fondre au soleil. Je n’ai jamais aimé la mer, pourquoi aurais-je appris à nager ? Il a pris mon sorbet, il l’a jeté dans le sable et il m’a poussée à l’eau. Je n’ai pas crié (croyez bien que jusqu’à aujourd’hui, et ça fait dix ans, je n’ai jamais élevé la voix une seule fois…), mais j’ai eu envie de vomir ce que j’avais mangé de sorbet à la figure de ce porc abruti. C’est dommage que je n’aie découvert ça qu’aujourd’hui…
On dirait, même, que l’histoire se répète comme une farce… Je dis ça parce que, quelques années plus tard, Carlos m’a convaincue que je devrais faire des sorbets à la maison, pour les vendre aux enfants du voisinage. « Pour augmenter les revenus de la famille », disait-il. Moi, je souhaitais poursuivre mes études, aller à l’université. Lettres, psychologie, quelque chose comme ça. Et lui : « Ne rêve pas, ma chérie !… d’ailleurs, en parlant de rêve : comment vont tes margouillats ? » C’est ainsi que je suis devenue fabricante de sorbets.
C’était il y a trois ans, à peu près. Hier, il m’a informée qu’il allait passer l’affaire à sa cousine Gina (une de ses maîtresses, à ce qu’on m’a dit). Il paraît qu’elle est plus douée que moi dans ce domaine.
João Melo, (Angola) « O criador e a criatura », in Imitação de Sartre e Simone de Beauvoir, Caminho, 2° ed, 1999