La somnambule
Gustave Courbet, La somnambule
Après une brève hésitation, Laurinda ouvrit la porte du salon et sentit aussitôt un frisson lui parcourir le corps. Du calme ! ordonna-t-elle dans un murmure, en secouant les mains comme si elle était en train de pousser quelque chose ou quelqu’un devant elle. Rassure-toi, je prie Dieu pour toi, dit-elle très vite, en faisant trois fois son signe de croix. C’est toujours la même chose, pensa-t-elle, traversant le salon presque en courant pour remonter les persiennes des deux fenêtres. Dès que j’entre ici, je les sens. Cette pièce en est remplie. Et c’est la faute de cette maudite ici, accusa-t-elle en regardant par en-dessous La Somnambule de Courbet, accrochée au mur. Je ne veux même pas te voir, murmura-t-elle sur un ton menaçant. Mais comme elle finissait toujours par le faire, elle plongea son regard dans le regard fixe, pénétrant et inquiétant de la femme du tableau et elle resta immobile au milieu de la pièce, sans parvenir à détourner les yeux, comme hypnotisée, jusqu’à ce qu’un autre frisson la fasse revenir à la réalité.
– Sois maudite, jura-t-elle. Je ne comprends pas comment la patronne consent à ça. Pour moi, ce fantôme attire le Mal. Je lui ai même dit une fois que, si ça se trouvait, c’était même possible que ce soit une envoyée du… de celui dont on ne doit pas prononcer le nom. Elle a ri et elle a dit que non, que c’était une copie d’un tableau ancien qui avait une grande valeur. Parce que ça peut être ancien et de valeur, l’un n’empêche pas l’autre. Mais moi, je sais ce que je sens. J’en ai même parlé à Madame Piedade, j’y suis allée exprès et tout, et elle m’a dit que je ne m’avise pas de la toucher avant qu’elle découvre qui c’était et ce qu’elle veut. « Ne la touchez pas, même avec un chiffon, elle m’a prévenue. « Attention, elle pourrait vous apporter beaucoup d’ennuis si elle est du côté du Mal, si par hasard vous la touchez. » Madame Piedade veut que je lui porte une photographie pour la lui montrer, mais comment je peux faire ? Et en attendant je ne la touche pas, bien sûr, même pas avec le bout du chiffon, la patronne n’a qu’à le faire si elle veut, moi je ne la touche pas. Madame Piedade dit que les gens comme moi doivent faire très attention. Elle dit que Madame Úrsula ne s’aperçoit de rien, qu’elle n’a pas la catégorie pour sentir quoi que ce soit, et donc que l’Autre ne peut pas l’atteindre. Mais moi, si, parce que tout ce qui est adossé me tombe dessus. Elle m’a bien dit de faire très attention. Je n’ai pas de chance, il fallait que ça me tombe dessus, ce pouvoir qui ne me sert à rien, juste à me compliquer la vie.