conversation de comptoir
J’étais en train d’achever la lecture d’une interview sur l’hypothèse d’une transmission télévisuelle des odeurs et des parfums, et le danger que cela représentait pour la sécurité du pays.
- La guerre des étoiles, comparée à cette possibilité, est un jeu d’enfant. Car il sera possible d’empoisonner une ville entière.
- Pas du tout. Seule l’odeur sera transmise, et non la substance vénéneuse. C’est ici que se révèlent les possibilités infinies de la haute technologie, de la science en général : séparer l’odeur de son support
- D’accord. Mais les poisons sans odeur? Comment seraient-ils transmis? Ou plus exactement, comment seraient-ils détectés et identifiés?
- Ceux-là, uniquement par câble. Mais il y a aussi une autre solution: on leur associe auparavant une odeur quelconque, et, ensuite, on sépare le tout comme il se doit et on l’envoie selon…
- A ce point-là, on frise la métaphysique.
- Exact. Vous l’avez dit. Quand il sera possible de transmettre la métaphysique par la télévision, on n’aura plus rien à espérer de la civilisation.
- Il en a toujours été ainsi…
- Non. Il ne faut pas confondre la métaphysique et l’utopie. L’utopie a toujours été métaphysique, mais la métaphysique n’est pas toujours de l’utopie. Quoi qu’il en soit…
Ce fut à ce moment-là qu’un garçon entra, l’écume à la bouche, en criant:
- Ils ont tué le cheval de Monsieur le Président!
- Calme-toi, gamin, Monsieur le Président a je ne sais combien de millions de chevaux à sa disposition !
J’essayais d’atténuer sa panique lorsqu’il tomba, évanoui.
- J’ai déjà travaillé aux Ecuries Présidentielles, dit le serveur.
- Et je sais, parce que c’est vrai, que le cheval est un animal très intelligent, dit quelqu’un.
- Seulement si on le compare à certaines personnes, affirma un autre.
Pas question de me mêler d’une conversation sur un sujet aussi complexe.Je leur laissai le journal et sortis.
Dimíter Ánguelov, Partida incessante, Nova Ática, 2001