Archive pour juin, 2010
le moulin à sucre
Moulin à sucre, Jean Baptiste Debret
On ne pourra ni mieux ni plus parfaitement décrire ce que c’est que d’être esclave dans un moulin à sucre au Brésil. Il n’y a travail ni genre de vie au monde plus semblable à la Croix et à la Passion de Christ que le vôtre dans un de ces moulins. [...]
Dans un moulin vous êtes les imitateurs du Christ crucifié : Imitatoribus Christi crucifixi – parce que vous souffrez d’une manière tout à fait semblable à celle dont le Seigneur a souffert sur sa croix et durant toute sa passion. Sa croix était composée de deux poteaux, et la vôtre dans un moulin est composée de trois. Là non plus les cannes ne manquèrent pas, car elles participèrent par deux fois à sa Passion : une fois en servant de sceptre de pacotille, et l’autre pour l’éponge où on lui donna le fiel. La Passion du Christ fut en partie faite de nuit sans dormir, et d’autre part d’un jour sans repos, et c’est ainsi que sont vos nuits et vos jours. Christ nu, et vous nus ; Christ sans nourriture, et vous affamés; Christ en tout maltraité, et vous maltraités en tout. Les chaînes, les fers, les fouets, les plaies, les noms injurieux, c’est de tout cela que se compose votre imitation, qui, si elle s’accompagne de patience, aura également le mérite du martyre. Il ne manquait que la croix pour une ressemblance entière et parfaite du nom de moulin : or Christ lui a donné le même, pas un autre, mais le même vocable. Votre moulin, ou votre croix, s’appelle Torcular (1), et celle de Christ, de sa bouche même, s’appela aussi torcular : Torcular calcavi solus. – En toutes les inventions et instruments de travail il semble que le Seigneur n’en ait pas trouvé d’autre qui soit plus semblable au sien que le vôtre. L’adéquation et l’énergie de cette comparaison viennent de ce que dans l’instrument de la croix, et dans tout l’atelier de la passion, comme dans tous ceux où l’on exprime le jus des fruits, c’est ainsi que fut exprimé tout le sang de l’humanité sacrée.
Padre António Vieira, Sermão XIV (Extrait)
1: Pressoir
je veux être tambour
Fran Pérez (Galice) chante José Craveirinho (Mozambique)
Le tambour est vieux de crier
Oh, vieux Dieu des hommes
laisse-moi être tambour
corps et âme je suis tambour
je suis tambour criant dans la nuit chaude des tropiques.
Ni fleur née de la forêt du désespoir
ni fleuve coulant vers la mer du désespoir
ni sagaie forgée au feu vif du désespoir
ni même poésie fabriquée dans la douleur pourpre du désespoir.
Ni rien !
Je suis tambour, vieux de crier sous la pleine lune de mon pays
je suis tambour à la peau tannée par le soleil de mon pays
je suis tambour creusé dans le bois dur de mon pays.
Moi
Je suis tambour, je fais exploser le silence amer de Mafalala
je suis tambour, vieux de présider au batuque de mon pays
je suis tambour perdu au milieu de l’obscurité de la nuit perdue.
Oh, vieux Dieu des hommes
je veux être tambour
et non fleur
et non fleuve
et non sagaie pour l’instant
et pas même poésie.
Je suis tambour résonnant avec le chant de force et de vie
je suis tambour jour et nuit
nuit et jour je suis tambour
jusqu’à la consommation de la grande fête du batuque !
Oh, vieux Dieu des hommes
laisse-moi être tambour
je suis tambour !
Poème de José Craveirinho (Mozambique)
Musique de Fran Pérez (Galice)
Créature de la nuit
Viviane Parra, groupe « Entre Aspas », Criatura da noite
Cette nuit je veux chanter
Danser et voler
Je veux voir beaucoup de lumières
Je veux être un oiseau
Je veux voir les poissons danser
Entendre les idées crier
Je veux voler, jusqu’à ce que je voie
la mer prendre feu
et la campagne brûler
Jusqu’à ce que la lumière m’encercle
et que je retourne à ma place.
Si vous avez aimé…
Entre Aspas, Soltar o olhar
Du feu et du rythme
Des bruits de chaînes sur les routes
des chants d’oiseaux
sous la verdure humide des forêts
de la fraîcheur dans la symphonie adoucie
des palmeraies
du feu
du feu dans l’herbe sèche
du feu sur la chaleur des plaines du Cayatte.
De grands chemins
pleins de gens pleins de gens
pleins de gens
en exode de tout côté
de grands chemins pour des horizons fermés
mais des chemins
des chemins ouverts par-dessus
l’impossibilité des bras.
Des feux
la danse
le tam-tam
le rythme
Du rythme dans la lumière
du rythme dans la couleur
du rythme dans le son
dans le mouvement
dans les crevasses ensanglantées des pieds nus
dans les ongles décharnés
mais du rythme
du rythme.
Ô voix douloureuses d’Afrique !
Agostinho Neto, Poemas de Angola, Codecri, Rio de Janeiro, 1976