Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour août, 2010

quand le vin est tiré…

Posté : 31 août, 2010 @ 7:31 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

quand le vin est tiré... dans - époque contemporaine linep

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L’ombre d’un verger de pommiers tombait sur nous [...] et une brise légère arrivait du côté de la mer, portant la voix et l’odeur de cette mer presque jusqu’à la ville. Par terre, le pain coupé en deux, le fromage, le lard, le poisson salé [...], et deux verres de vin que mon père coupait avec de l’eau, étaient notre repas de ces jours-là. Souvent, ensuite, mon père s’endormait ; lui trouvait ainsi le repos, et moi l’occasion de déambuler à travers le terrain, seul, à écouter les bruits de la terre et de l’air qui soufflait toujours. J’apprenais ce langage, et aussi celui des saisons, et encore les travaux à effectuer sur les arbres et les vignes.
« Tu as ici des boutures. Prends-en quelques unes, nous allons les planter. »
Et alors, munis de ces morceaux de bois que nous plantions en terre comme des croix sans bras, nous faisions en sorte que naissent de petits arbres, que poussent des racines et des fruits. D’autres fois il nous fallait déchausser et tailler les vignes, ou travailler le sol, et ainsi, entre ces travaux que nous faisions sans nous presser, nous voyions les fruits se former et grandir, les raisins s’apprêter à la vendange et se transformer en vin. Plus que tout, c’était ce vin qui faisait l’orgueil de mon père. Il l’exhibait en ville devant quelques amis, avec le même plaisir qu’il prenait à rédiger ses documents et leur apposer sa marque, et le donnait à goûter à qui voulait.
« Ah, si je me consacrais à la terre, juste aux arbres fruitiers et à la vigne, vous verriez alors quel vin je ferais. Un vin de Colares qui serait réputé jusqu’à Alenquer. Qu’est-ce que je dis, jusqu’à Alenquer ? Jusqu’à Santarém, jusqu’à Évora… »
Et il était facile de sourire des rêveries de mon père que nous attribuions à la joie, à l’orgueil sans péché, ou à l’esprit du vin qu’il buvait. Lorsqu’on lui demandait pourquoi il ne louait pas les terres, pour en tirer plus de profit, puisqu’il ne pouvait pas s’y consacrer plus amplement, voilà qu’il restait interdit et muet, sans comprendre, comme si on lui demandait pourquoi il ne vendait pas ses enfants, ou pourquoi il ne laissait pas d’autres rédiger et signer ses documents. La réponse, quand il y en avait une, n’était pas sérieuse, comme si cela n’avait pas d’importance.
«Eh bien, ne dit-on pas que l’idiot en sait plus sur ses affaires que le sage sur celles des autres ? »
Ces rêves de petite grandeur liés au vin, les seuls finalement que mon père se permettait, n’étaient pas bien méchants. Avec le temps, j’ai commencé moi aussi à rire de ce rêve de changer peu à peu ce vin, qu’il tirait de la terre pendant son temps libre, en vin connu de Santarém jusqu’à Évora. Je souriais de ce rêve, qui s’achevait avec la vente de ce vin dans les tavernes de la ville tout au long de l’année. Je souris de ce rêve qu’au long des mois nous consommions, lentement, comme si nous buvions les parcelles de terrain de Galamares ou de Varzea. Nous souriions, et mon père était le premier à sourire, le premier à se moquer de lui-même, le premier à reconnaître la candeur et l’innocence de ce rêve, qu’aucun rire, finalement, ne pouvait déprécier.

Sérgio Luís de Carvalho, Le Bestiaire inachevé (Anno Domini 1348), Phébus, 2003

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maudite soit la mer

Posté : 23 août, 2010 @ 9:17 dans - moyen âge/ XVIème siècle, littérature et culture, Poesie | Pas de commentaires »

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Quand je vois les ondes
et les hautes falaises,
il me vient une onde
au cœur pour la belle.
Maudite soit la mer,
qui me fait tant de mal !

 Je ne peux voir les ondes
et les roches élevées
sans que me vienne une onde
au cœur pour la jolie.
Maudite soit la mer,
qui me fait tant de mal !

 Quand je vois les ondes
et la côte découpée,
il me vient des ondes
au cœur pour la parfaite.
Maudite soit la mer,
qui me fait tant de mal !

 Rui Fernandes (de Santiago)

 CV 488, CBN 903

 

nwahulwana, oiseau de nuit

Posté : 19 août, 2010 @ 3:54 dans - époque contemporaine, littérature et culture, musique et chansons, Poesie, vidéos documentaires | 2 commentaires »

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Wazimbo (Mozambique)

La table magique

Posté : 18 août, 2010 @ 7:15 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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Une dictée…

Les tables ont toujours eu quatre pieds et le système leur convenait tout à fait bien.
Mais les temps changent. Tout veut être meilleur, tout veut être différent.
Un jour, une table s’enleva un pied et se retrouva sur trois.
Les vieilles tables rirent, mais ne dirent rien. Arrive une autre table qui dit avec ses pieds :
- Qui peut vivre sans un pied peut vivre sans deux. Et même, tout bien considéré, un seul peut suffire.
Les vielles tables alors furent aterrées :
- Tous ces trucs modernes, cela semble impossible !
- C’est une table du Colisée !
- Il n’y a plus de respect, plus rien !
Eh oui. Le pire était encore à venir. Ce fut la soeur cadette qui un jour, tout bonnement, en rentrant de l’école, arriva sans pied. Le problème, c’est qu’elle se tenait debout et servait autant que les autres.
- Ecoute un peu, lui demandai-je. Comment fais-tu pour être debout sans avoir de pieds ?
Elle me fit un clin d’oeil !
- C’est un secret. Ces petites vieilles sont enragées.
- Dis-moi…
- Tu jures que tu ne le diras à personne ?
- Je le jure.
Et elle me le confia.
Bien sûr, vous voudriez bien le connaître aussi. Mais que voulez-vous. Un secret, c’est un secret.

Auteur inconnu (texte de dictée sur un cahier d’écolier, 1976)

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Romance

Posté : 14 août, 2010 @ 7:16 dans - époque contemporaine, littérature et culture, Poesie | 2 commentaires »

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*

Las du soleil et du sable,
qui est ce que la terre donne le plus,
Tomasinho-Visage-Laid
va à la pêche à la baleine
Qui sait s’il en reviendra?

Qu’il revienne ou non, qu’importe?
Il accomplit son destin.
Seule nha Fortunata, sa mère,
Qui est vieille et n’a plus personne,
pleure le départ de son petit.

Qu’il revienne ou pas, qu’importe?
Il va faire comme son grand père.
Il ne reviendra pas frapper à ma porte;
il a laissé pour toujours le jardin
que la grande sécheresse a tué.

Tomasinho-Visage-Froid
(Un autre nom, qui le lui a donné?)
Fatigué du sel et du sable,
Est parti à la pêche à la baleine.

- Et jamais ne reviendra.

Daniel Filipe (Cap Vert), A ilha e a solidão, Outras vozes também nossas, 1993

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prisonnière

Posté : 10 août, 2010 @ 7:26 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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Au début ces coups de feu faisaient sursauter Inês. Elle pensait même, dans sa naïveté, que c’était quelqu’un qui venait les libérer, elle et les autres. Mais c’étaient des tirs isolés, qui provoquaient un écho spécial, et Inês avait appris avec le temps que chacun de ces coups de feu était une exécution. Un tir qui signalait la fin des jours d’un petit prévaricateur. Et bien que cela se produise à la base presque naturellement, Inês n’avait jamais assisté à un de ces événements ordinaires. Elle entendait seulement les gens qui en parlaient, plus tard, et elle les imaginait. Quand résonnait le coup de feu – Pan ! – elle fermait les yeux et imaginait la victime la bouche ouverte et les yeux vides, étonnée par la sévérité de la punition.
Puis il y avait Salamanga, qui arrivait sans prévenir et l’attrapait dans ce coin sombre où elle s’adossait chaque fois qu’elle le pouvait.[...] Il la jetait par terre, relevant sa blouse. Au début Inês se défendait avec férocité, cherchant à lui mettre les mains dans les yeux. Et Salamanga la frappait en riant, montrant ses dents blanches. Il la frappait beaucoup, surtout au visage, des coups qui n’étaient pas violents mais qui laissaient des marques profondes, parce que Salamanga avait la main lourde.

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sous la tempête

Posté : 8 août, 2010 @ 7:19 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 4 commentaires »

sous la tempête dans - époque contemporaine noeud_10

(© Photo CL )

il y a quelque chose sur la route, je ne vois pas à cause de la pluie, les essuie-glaces sont déjà à la vitesse maximum, il y a quelque chose un peu plus loin, je freine, la voiture m’échappe, un dérapage, je zigzague, je n’ai même pas peur, je rétablis l’allure normale, je plisse les yeux, c’est trop grand pour être le corps d’un chien ou d’un chat, j’avance avec précaution, ce n’est que de très près que je comprends que c’est un arbre abattu, les branches tressautant dans le vent, un tourbillon de feuilles, je tourne le volant, j’évite la spirale de feuilles qui s’élève dans l’obscurité, des branches qui battent l’air, encore heureux que cet arbre ne soit pas mort debout, je suis toujours attristée par les arbres qui restent à mourir debout, ils rêvent encore des printemps à venir quand on leur placarde sur le tronc, arbre à abattre, ils sentent encore le poids des nids et le souffle du vol des moineaux, ils m’attristent, les arbres morts attendant les voyageurs qui les fuient, personne n’aime l’ombre de la mort, ils restent là jusqu’à ce que la scie électrique les couche par terre, le tronc en rondelles de bois, la ramure une brassée de branchages que quelqu’un viendra chercher pour allumer une cheminée ou pour, une feuille se colle au pare-brise, je l’emporte avec moi, à partir d’aujourd’hui rien ne va être différent, je ne peux pas changer ce qui est passé, je ne suis pas maîtresse de ce qui vient, le panneau d’une sortie d’urgence sur la droite, la feuille s’envole, elle n’a pas voulu venir avec moi, elle ne veut pas de ma compagnie, je suis soûle, une feuille n’a pas de volonté, je suis soûle, les feuilles savent tout de nous, je suis soûle, mon cœur me fait mal, mon corps encore plus inconnu que les étrangers qui le prennent, je ne le reconnais que dans la douleur, l’eau-de-vie m’a mis dans la tête un vertige qui me plaît, je me frotte les yeux en vain, ils restent troubles, je me mets à pleurer, la feuille n’a pas voulu m’accompagner, je suis tellement ridicule,

Dulce Maria Cardoso, Les anges, Violeta (Os meus sentimentos) Esprit des péninsules, 2006

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papillons de lumière

Posté : 5 août, 2010 @ 10:47 dans - époque contemporaine, littérature et culture, Poesie | 2 commentaires »

 

papillons de lumière dans - époque contemporaine vieuxnigerian1

Peinture de Lolart

Des papillons de lumière
qui volètent
de cadavre en cadavre
cueillent
l’odeur des morts pour rien
et
par les jours des dentelles du temps
passent joyeux
du monde de l’oubli
au pays de l’indifférence
emportant avec eux
le pollen fatal
des fleurs de la guerre

papillons de lumière

 

Arlindo Barbeitos (Angola)

 

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