Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour le 8 août, 2010

sous la tempête

Posté : 8 août, 2010 @ 7:19 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 4 commentaires »

sous la tempête dans - époque contemporaine noeud_10

(© Photo CL )

il y a quelque chose sur la route, je ne vois pas à cause de la pluie, les essuie-glaces sont déjà à la vitesse maximum, il y a quelque chose un peu plus loin, je freine, la voiture m’échappe, un dérapage, je zigzague, je n’ai même pas peur, je rétablis l’allure normale, je plisse les yeux, c’est trop grand pour être le corps d’un chien ou d’un chat, j’avance avec précaution, ce n’est que de très près que je comprends que c’est un arbre abattu, les branches tressautant dans le vent, un tourbillon de feuilles, je tourne le volant, j’évite la spirale de feuilles qui s’élève dans l’obscurité, des branches qui battent l’air, encore heureux que cet arbre ne soit pas mort debout, je suis toujours attristée par les arbres qui restent à mourir debout, ils rêvent encore des printemps à venir quand on leur placarde sur le tronc, arbre à abattre, ils sentent encore le poids des nids et le souffle du vol des moineaux, ils m’attristent, les arbres morts attendant les voyageurs qui les fuient, personne n’aime l’ombre de la mort, ils restent là jusqu’à ce que la scie électrique les couche par terre, le tronc en rondelles de bois, la ramure une brassée de branchages que quelqu’un viendra chercher pour allumer une cheminée ou pour, une feuille se colle au pare-brise, je l’emporte avec moi, à partir d’aujourd’hui rien ne va être différent, je ne peux pas changer ce qui est passé, je ne suis pas maîtresse de ce qui vient, le panneau d’une sortie d’urgence sur la droite, la feuille s’envole, elle n’a pas voulu venir avec moi, elle ne veut pas de ma compagnie, je suis soûle, une feuille n’a pas de volonté, je suis soûle, les feuilles savent tout de nous, je suis soûle, mon cœur me fait mal, mon corps encore plus inconnu que les étrangers qui le prennent, je ne le reconnais que dans la douleur, l’eau-de-vie m’a mis dans la tête un vertige qui me plaît, je me frotte les yeux en vain, ils restent troubles, je me mets à pleurer, la feuille n’a pas voulu m’accompagner, je suis tellement ridicule,

Dulce Maria Cardoso, Les anges, Violeta (Os meus sentimentos) Esprit des péninsules, 2006

Revenir à la page d’accueil

analyse fréquentation web