Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

prisonnière

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 10 août, 2010 @ 7:26

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Au début ces coups de feu faisaient sursauter Inês. Elle pensait même, dans sa naïveté, que c’était quelqu’un qui venait les libérer, elle et les autres. Mais c’étaient des tirs isolés, qui provoquaient un écho spécial, et Inês avait appris avec le temps que chacun de ces coups de feu était une exécution. Un tir qui signalait la fin des jours d’un petit prévaricateur. Et bien que cela se produise à la base presque naturellement, Inês n’avait jamais assisté à un de ces événements ordinaires. Elle entendait seulement les gens qui en parlaient, plus tard, et elle les imaginait. Quand résonnait le coup de feu – Pan ! – elle fermait les yeux et imaginait la victime la bouche ouverte et les yeux vides, étonnée par la sévérité de la punition.
Puis il y avait Salamanga, qui arrivait sans prévenir et l’attrapait dans ce coin sombre où elle s’adossait chaque fois qu’elle le pouvait.[...] Il la jetait par terre, relevant sa blouse. Au début Inês se défendait avec férocité, cherchant à lui mettre les mains dans les yeux. Et Salamanga la frappait en riant, montrant ses dents blanches. Il la frappait beaucoup, surtout au visage, des coups qui n’étaient pas violents mais qui laissaient des marques profondes, parce que Salamanga avait la main lourde.

Peu à peu Inês avait compris qu’elle ne pouvait pas contrarier ce désir si intense qu’elle provoquait. Elle s’était radoucie, se laissant soumettre, dans la continuité du comportement qu’elle avait adopté au départ, quand son poste de santé avait été envahi et détruit. Et à mesure qu’elle se calmait Salamanga n’avait pas été non plus exempt de changement. Il s’était mis à la maltraiter moins, à frapper à la porte quand il voulait se servir. Il arrivait même qu’Inês remarque, parfois, un sourire amical sur ses lèvres : Salamanga découvrait en elle la vision d’une nouvelle vie, une vie dont il n’osait même pas rêver mais qu’il appréhendait par petits fragments quand il était transporté par le plaisir qu’il tirait d’elle. Inês, dans sa double intuition de femme et d’infirmière, percevait cette transformation et s’attendrissait presque. Elle partageait presque ce plaisir, elle se transformait presque elle-même.
Mais ensuite il y avait d’autres moments, où il était dans d’autres dispositions. Salamanga arrivait de ses sorties cruelles et semblait être un autre homme. Rigide, surtout dans sa façon de maltraiter les paysans et de punir ses propres hommes. Inês, dans sa volonté désespérée de s’adapter et de survivre, aimait à penser que cette cruauté était feinte. Qu’il agissait ainsi pour que les autres ne découvrent pas sa faiblesse. Que c’était, pour lui aussi, une question de survie. Mais aussitôt elle se révoltait contre son amant et son bourreau, et en même temps contre elle-même.

João Paulo Borges Coelho (Mozambique), As duas sombras do rio, Caminho, 2003

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