Archive pour septembre, 2010
baratin
Carte du Tendre
Par conséquent, écrire, ce qui s’appelle écrire, des clichés, des sous-entendus dans les interlignes, avec beaucoup de fioritures pour envelopper ma prose et des cochonneries de ce genre, ça n’est pas mon truc. Je ne suis pas doué pour ce négoce. Nous avons déjà parlé de ça, caramba. Je suis étonné de ma récidive, je fais pleuvoir sur le mouillé. Sachez qu’en mon temps j’ai écrit des lettres d’amour comme n’importe quel jeune homme amoureux en début de rodage. Oui, peut-être que vous n’allez pas me croire, Morales, mais c’est la pure vérité : les lettres ne m’ont jamais fait obtenir quoi que ce soit des femmes, contrairement à un baratin bien emballé, connu sur le bout de la langue, assuré, d’un effet certain, en direct, du tac au tac – la modalité qui me plaît le plus dans la loterie de la drague. Me passer d’intermédiaires en matière de nanas a toujours été ma règle, puisque j’ai appris très tôt à atteindre le noeud de l’intrigue, juste en leur parlant droit au coeur, en leur donnant de petits noms, en leur payant quelques dîners, en les promenant en voiture et en leur offrant des fleurs, des roses, de préférence. Recette infaillible. Ça et raconter des balivernes, en tirant vers le romantique, et tout. C’est grâce à elles que je suis devenu détective privé, elles m’ont appris qu’il n’y a pas de limite à la conversation, vu que je n’ai jamais manqué de toupet. [...]
Bien : je pressens, jeune homme, que ce vous attendez de moi, ce sont des fioritures qui confèrent des « effets de réalité » à vos affaires judiciaires. Mais, justement : les fioritures, c’est votre partie. C’est vous qui connaissez la casuistique, fleurir est de votre ressort, vous voyez un type terre à terre perdre son temps précieux à des fioritures ? Oh, Morales, parole d’honneur, j’aurais pensé que vous me connaissiez mieux, nom d’une pipe.
Júlio Conrado, Desaparecido no Salon du Livre, Bertrand, 2001
Fous de Lisbonne
Chanson de Rui Veloso, chantée par le groupe Ala dos Namorados
Ce sont les fous de Lisbonne
qui nous font soupçonner
que la terre tourne à l’envers,
que les fleuves naissent dans la mer.
traces de pas
*
C’est dans ce désert de sable qu’il remarqua, non sans surprise, qu’il ne s’était pas coupé les ongles depuis longtemps, ses pieds nus montraient des ongles noircis et recourbés, des griffes de chien, il faut que je me coupe les ongles, il le répéta deux ou trois fois pour ne pas oublier, ce soir il faut que je me coupe les ongles. Il se leva et se mit à marcher, il éprouva du plaisir lorsque ses pieds froids s’enfoncèrent dans le sable tiède et marcha plus lentement, en se concentrant sur le simple acte de marcher, il enfouissait un pied dans le sable et le posait en avant en le laissant sans protection, l’autre suivait, et il fit ainsi une trace de ses pas, ses pieds étaient encore petits quand ils avaient pris cette habitude, quand ils avaient connu la mer à la colonie de vacances. Le jour où il était arrivé à la colonie de vacances, on lui avait donné de la soupe au lait et on l’avait fait coucher au premier étage de lits superposés, une cabine, l’excitation d’être couché dans un lit avec une échelle l’empêchait de s’endormir, le lendemain matin il allait rencontrer la mer, on aurait dit qu’il allait rencontrer quelqu’un. Il avait préféré la cabine à la mer, mais il n’avait pas osé le dire, pendant la semaine où il avait dormi dans la cabine il s’était habitué à surveiller les traces de ses pas dans le sable, il les cherchait le lendemain, autant essayer de vider l’océan, le dernier jour des vacances ses camarades avaient laissé dans le sable une file bien ordonnée de pieds tristes, qu’a bien pu devenir le garçon qui dormait dans le lit du bas, comment s’appelait-il déjà, ses pieds avaient grandi et ils avaient des griffes de chien mais quelquefois le bonheur attaque aussi des pieds comme ça, à 19 heures 05 il laissa dans le sable des traces de pieds heureux.
Dulce Maria Cardoso, Coeurs arrachés (Campo de sangue), Phébus, 2005
Dans l’autre ? sens
Guillaume IX d’Aquitaine
(Lyrics of the Troubadours and Trouvères, Anthologie de Frederick Goldin, New York University, Anchor, 1973)
Lire la traduction française et la traduction portugaise :
Esbrouffe
Anhangüera, bandeirante célèbre, avait aussi été un charlatan. Il avait traversé le monde, de São Paulo à l’État de Goiás, au milieu des animaux, de la forêt et des maladies, recrutant de l’aide en chemin. Et ceux qui ne se laissaient pas recruter par la force ou le pouvoir de l’échange finissaient étendus morts sur les sentiers. « Je peux mettre le feu à l’eau », avait-il dit à un chef indigène naïf, et, prenant un récipient qui paraissait en contenir, il avait fait sa démonstration ; il avait gagné le respect des Indiens par le pouvoir de sa magie, et celui de ses compagnons par sa capacité à abuser de leur crédulité. Les Indiens, dans leur ignorance native, avaient sans doute fini par boire l’eau incendiée, et la baptiser « eau de feu ». Il ne s’était jamais enrichi, le bandeirante portugais, mais il avait porté l’Europe un peu plus profond dans la forêt vierge. Ou si l’on préférait, il avait poussé le peuple des arbres sous la lumière crue.
C’était à ça que pensait Vera, le lendemain, en observant sa statue. Avec un peu de feu et de conviction, on pouvait convaincre n’importe qui. C’était une telle évidence pour elle qu’elle ne remarqua même pas le Palais des Émeraudes, qui se trouvait devant elle.
Possidónio Cachapa, Rio da Glória, Oficina do livro, 2006
Bartolomeu Bueno da Silva, surnommé Anhangüera, “vieux diable” en tupi-guarani. (Les « bandeirantes » étaient des Portugais qui partaient au Brésil pour chasser les indigènes, coloniser leurs terres et s’approprier l’or.) C’est pour connaître l’emplacement des gisements du précieux métal qu’il fit croire aux Indiens qu’il allait mettre le feu à toutes leurs rivières en plongeant une allumette dans une bouteille pleine d’alcool à brûler.