Dans l’autre ? sens
Guillaume IX d’Aquitaine
(Lyrics of the Troubadours and Trouvères, Anthologie de Frederick Goldin, New York University, Anchor, 1973)
Lire la traduction française et la traduction portugaise :
*
Je ferai un vers de pur
ni de moi, ni de personne d’autre,
ni d’amour, ni de jeunesse,
ni de rien d’autre,
il a été trouvé en dormant
sur mon cheval.
Ne sais à quelle heure je suis né
ne suis ni joyeux ni en colère
ni étranger ni intime
et peux m’en chaut
car j’ai été, de nuit, « fadé »(1)
sur un puy haut.
Ne sais quand je suis endormi
ni quand je veille, si on ne me le dit,
pour un peu mon coeur est brisé
d’une forte douleur
je m’en moque comme d’une souris
par Saint Martial.
Je suis malade et je tremble de mourir
et je n’en sais que ce qu’on m’en dit
je chercherai un docteur à mon gré
ne sais lequel :
il sera bon s’il peut me guérir
mais non si je vais plus mal.
J’ai une amie, ne sais qui c’est,
car sur ma foi, jamais ne l’ai vue,
jamais n’a fait chose qui me plaise ou me pèse,
et peut m’en chaut,
car jamais ne vis ni Norman ni Français
dans ma maison.
Jamais ne l’ai vue, et je l’aime fort
jamais ne me fit ni droit ni tort
quand je ne la vois pas, bien je m’en porte,
je m’en soucie comme d’un coq,
j’en connais une plus gentille et plus belle
qui vaut bien mieux.
Je ne sais le lieu où elle est
sur une colline ou dans la plaine
je n’ose dire le tort qu’elle m’a fait
plutôt me tais
cela me pèse de rester là
et je m’en vais.
J’ai fait le vers, ne sais de qui,
je le transmettrai à celui
qui le transmettra à autrui
là vers l’Anjou
pour qu’il me donne de son étui
la contre-clé.
(1) de « fada », la fée ; (enchanté, ensorcelé)
Fiz um poema sobre nada :
Não é de amor nem é de amada,
Não tem saida nem entrada,
Ao encontrá-lo,
Ia dormindo pela estrada
No meu cavalo.
*
Eu não sei quando fui gerado:
Não sou alegre nem irado,
Não sou falante nem calado,
Nem faço caso,
Aceito tudo o que me é dado
Como um acaso.
*
Não sei quando é que adormeci,
Quando acordei também não vi,
Meu coração quase parti
Com o meu mal,
Mas eu não ligo nem a ti,
Por São Marcial.
*
Estou doente e vou morrer,
Não sei de qué, ouvi dizer,
A um médico vou recorrer,
Mas não sei qual,
Será bom se me socorrer
E se não, mau.
*
Tenho uma amiga, mas quem é
Não sei nem ela sabe e até
Nem quero ver, por minha fé,
Pouco me importa
Se há normando ou francés ao pé
Da minha porta.
*
Eu nã a vi e amo a ninguém
Que não me fez nem mal nem bem
E nem me viu. Isso, porém,
Tanto me faz,
Que eu sei de outra, entre cem,
Que vale mais.
*
Finda a canção, não sei de quem,
Irei passá-la agora a alguém
Que a passará ainda além
A amigo algum,
Que logo a passará também
A qualquer um.
*
Guilhem de Peitieu, 1071 – 1127, Canção do nada (Vers de dreyt nien,
traduit de l’occitan)
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Si on tape « je ferai un vers de pur néant » dans la fenêtre google, 2 liens seulement renvoient à Guillaume d’Aquitaine, dont le vôtre. Merci à vous, car c’est un texte fondamental, sinon fondateur.
Ci-dessous retraduction (d’après la VO et son adaptation par Roubaud chez Seghers) de cette oeuvre du « premier troubadour en date et en qualité » (Bernard Delvaille, « Mille et cent ans de poésie française »), Guillaume d’Aquitaine.
Marcel – ici Martial – Sourdeval, dédicataire, est un contemporain lillois.
Caractéristiques de l’original que j’ai restaurées, au prix de quelques « trahisons » – traduire c’est trahir, paraît-il – :
- strophes en 8 8 8 4 8 4 syllabes,
- rime constante (en -al) des tétrasyllabes (en -au chez Guillaume d’Aquitaine),
- rime unique des octosyllabes d’une même strophe.
Tout premiers vers lyriques signés dans une langue moderne, autour de l’an 1100, période cruciale pas seulement en littérature, puisque l’écriture musicale est alors passée du statut d’aide-mémoire à celui d’outil de création, ce qui constitue l’acte de naissance de la composition. C’est à cette rupture que l’on doit pour beaucoup la singularité et la richesse de la musique européenne.
Notons enfin que…
« Je ferai un vers de pur rien
Ne sera sur moi ni sur personne
… semble appeler en écho à 800 ans de là :
« Rien cette écume vierge vers »
de Stéphane Mallarmé.
Je ferai ce vers de pur rien
Qui n’est ni d’autres gens ni mien
Ni de jeunesse ou tendre lien
À rien égal
Trouvé d’un sommeil sélénien
Sur un cheval
Je ne sais l’heure où je suis né
Je ne suis allègre ou peiné
Ni sauvage ni pensionné
Legs initial
De nuit qu’une fée a donné
Du haut d’un val
Ne sais quand me suis endormi
Ni si je veille à moins déni
Guère mon coeur serait puni
Sans deuil ni mal
Aussi peu que d’une fourmi
Par Saint Martial
Je suis malade et crois mourir
Selon ce que j’en puisse ouïr
Qu’un médecin j’aille quérir
Hasard crucial
Il sera bon à me guérir
Sinon fatal
Mon amie est qui je ne sais
Jamais ne nous sommes croisés
N’a rien de plaisant ni mauvais
Ça m’est égal
N’existe Normand ni Français
En mon journal
Je ne l’ai vue et l’aime fort
Qui ne m’a fait ni bien ni tort
Sans différend et sans accord
Fi d’animal
D’une autre noble beauté sort
L’amour total
J’ignore où ses pénates sont
Dans une plaine ou sur un mont
Et je tairai ce heurt profond
Entracte oral
Qu’elle ne suive où mes pas vont
De son local
Le vers fait par je ne sais qui
Je le transmettrai vers celui
Qui le transmettra par autrui
À Sourdeval
Qui me transmet hors son étui
La clé du bal
Merci !
C’est un travail extraordinaire, que je ne me suis pas donné la peine de faire (pour ce poème-là). Le rythme et les sonorités avant tout, vous avez raison. C’est le jeu.
A propos du texte fondateur, voici ce qu’en dit Frederick Goldin, de l’université de New York
« Ces textes, bien qu’ils aient bénéficié de la tradition littéraire, n’ont pas de réels antécédents »[...] Qu’ils soient lus ou non, ils n’ont jamais cessé d’influencer la littérature occidentale. »
Je crois qu’il y a dans la poésie de Mallarmé de constantes allusions aux troubadours – ne serait-ce que le « coup de dés »…
bravo pour votre blog !
Ce texte est extraordinaire !
Merci de votre visite !