traces de pas
*
C’est dans ce désert de sable qu’il remarqua, non sans surprise, qu’il ne s’était pas coupé les ongles depuis longtemps, ses pieds nus montraient des ongles noircis et recourbés, des griffes de chien, il faut que je me coupe les ongles, il le répéta deux ou trois fois pour ne pas oublier, ce soir il faut que je me coupe les ongles. Il se leva et se mit à marcher, il éprouva du plaisir lorsque ses pieds froids s’enfoncèrent dans le sable tiède et marcha plus lentement, en se concentrant sur le simple acte de marcher, il enfouissait un pied dans le sable et le posait en avant en le laissant sans protection, l’autre suivait, et il fit ainsi une trace de ses pas, ses pieds étaient encore petits quand ils avaient pris cette habitude, quand ils avaient connu la mer à la colonie de vacances. Le jour où il était arrivé à la colonie de vacances, on lui avait donné de la soupe au lait et on l’avait fait coucher au premier étage de lits superposés, une cabine, l’excitation d’être couché dans un lit avec une échelle l’empêchait de s’endormir, le lendemain matin il allait rencontrer la mer, on aurait dit qu’il allait rencontrer quelqu’un. Il avait préféré la cabine à la mer, mais il n’avait pas osé le dire, pendant la semaine où il avait dormi dans la cabine il s’était habitué à surveiller les traces de ses pas dans le sable, il les cherchait le lendemain, autant essayer de vider l’océan, le dernier jour des vacances ses camarades avaient laissé dans le sable une file bien ordonnée de pieds tristes, qu’a bien pu devenir le garçon qui dormait dans le lit du bas, comment s’appelait-il déjà, ses pieds avaient grandi et ils avaient des griffes de chien mais quelquefois le bonheur attaque aussi des pieds comme ça, à 19 heures 05 il laissa dans le sable des traces de pieds heureux.
Dulce Maria Cardoso, Coeurs arrachés (Campo de sangue), Phébus, 2005