baratin
Carte du Tendre
Par conséquent, écrire, ce qui s’appelle écrire, des clichés, des sous-entendus dans les interlignes, avec beaucoup de fioritures pour envelopper ma prose et des cochonneries de ce genre, ça n’est pas mon truc. Je ne suis pas doué pour ce négoce. Nous avons déjà parlé de ça, caramba. Je suis étonné de ma récidive, je fais pleuvoir sur le mouillé. Sachez qu’en mon temps j’ai écrit des lettres d’amour comme n’importe quel jeune homme amoureux en début de rodage. Oui, peut-être que vous n’allez pas me croire, Morales, mais c’est la pure vérité : les lettres ne m’ont jamais fait obtenir quoi que ce soit des femmes, contrairement à un baratin bien emballé, connu sur le bout de la langue, assuré, d’un effet certain, en direct, du tac au tac – la modalité qui me plaît le plus dans la loterie de la drague. Me passer d’intermédiaires en matière de nanas a toujours été ma règle, puisque j’ai appris très tôt à atteindre le noeud de l’intrigue, juste en leur parlant droit au coeur, en leur donnant de petits noms, en leur payant quelques dîners, en les promenant en voiture et en leur offrant des fleurs, des roses, de préférence. Recette infaillible. Ça et raconter des balivernes, en tirant vers le romantique, et tout. C’est grâce à elles que je suis devenu détective privé, elles m’ont appris qu’il n’y a pas de limite à la conversation, vu que je n’ai jamais manqué de toupet. [...]
Bien : je pressens, jeune homme, que ce vous attendez de moi, ce sont des fioritures qui confèrent des « effets de réalité » à vos affaires judiciaires. Mais, justement : les fioritures, c’est votre partie. C’est vous qui connaissez la casuistique, fleurir est de votre ressort, vous voyez un type terre à terre perdre son temps précieux à des fioritures ? Oh, Morales, parole d’honneur, j’aurais pensé que vous me connaissiez mieux, nom d’une pipe.
Júlio Conrado, Desaparecido no Salon du Livre, Bertrand, 2001
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