Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

le siège

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 13 octobre, 2010 @ 7:38

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Lorsqu’ils entrèrent dans le dixième jour du siège les guerriers regardèrent tout ce qui était vivant et sans vie que la terre portait depuis le commencement des commencements et parvinrent à la triste conclusion que le monde avait perdu la beauté et la vigueur qu’il possédait depuis des siècles. Le ciel et la terre prenaient la couleur de cadavres étripés. Les jours succédaient aux jours au rythme de somnambules séniles.

Les nuages de la pluie passaient à distance et le vent favorable répandait les tristes cantiques des insignes guerriers, morts dans des batailles d’hommes, à coups de lances qui se croisaient dans l’air et de boucliers qui s’entrechoquaient bruyamment sur l’herbe dévastée par les hommes et par les cantiques de la victoire qui retombaient sur la plaine couvertes de cadavres et de serpents qui sifflaient, affolés par la vision infernale qu’offrait la plaine.
Maintenant, dépouillés de la vigueur de leurs ancêtres, les guerriers blanchissaient à l’ombre des arbres gris, et voyaient les lances monter les escarpes de la solitudes et les boucliers servir de nids aux rats.
[...]
On n’entend rien. Les heures passent. Les guerriers attendent. Ils attendent le signe, les pleurs quotidiens, à la même heure, et au même rythme. Ils n’entendent rien. Les murmurent cessent. Ils comptent les jours. Se trompent. Rectifient. Rient. Attendent. L’un des guerriers se risque à grimper la palissade haute de plusieurs mètres. Il monte sur les troncs, hésite, glisse, remonte, arrive jusqu’aux bouts taillés en pointe, guette, s’attarde quelques minutes. Les autres attendent. Ils sont impatients. Le guerrier descend. Les yeux lui sortent de la tête. Il tremble.
- Il a perdu la parole, dit l’un d’eux. La phrase se traîne de bouche en bouche. Elle est enveloppée de salive, greffée, elle enfle, prend de nouvelles dimensions et arrive aux oreilles de Maguiguane:
Rendus fous par la faim les hommes dévorent les femmes et les femmes dévorent les enfants. Le rois et les chefs désignent du doigt la viande pour le repas. [...]
Maguiguane rit. Les trente mille guerriers rient. Macanhangane dort. Et la phrase revient à son début.
- C’est vrai ?
- On ne sait pas. Cet homme a perdu la parole. Tu veux essayer de monter?
- Non. Je veux pouvoir raconter ça à mes enfants.
- Et toi ?
- Non.
- Pourquoi ?
- Ce n’est pas ça la guerre, mon frère.
- Tu as raison.

Ungulani Ba ka Khosa (Mozambique) Ulalapi, Uma terra sem amos, Caminho, 1987, 2° édition 1990

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