Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour le 4 novembre, 2010

la mer fermée

Posté : 4 novembre, 2010 @ 7:10 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 2 commentaires »

pontadelgada.jpg

Ponta Delgada, Açores, (Photo Pieter Hennipman)

 

Et il y avait la mer. Comme toujours. Pour toujours. Et les gens allaient et venaient, ballottant dans ce courant d’eaux rouges et brunes, cependant que le bleu restait toujours un peu plus loin. La profondeur. Ce qui est.
Et les modes étaient anciennes comme si tout le monde s’habillait de ce que la mer rejetait sur la côte. Même les jeans s’étaient déchiquetés contre les pierres noires de lave. Et tout ce qui se présentait de nouveau paraissait vieux. Démodé. Ancien, dans le sens le plus dépréciatif du mot. Comme s’ils avaient tenté de créer, sans conviction, du neuf avec du vieux. Et que le vieux s’était accroché à la plage, comme autrefois, en ce jour où il avait dit aux marins de ne pas partir, aux enfants de ne pas aimer, aux hommes de ne pas changer. Tout le monde serré dans ses pantalons. Comme si ceux-ci faisaient une taille de moins que la vie qu’on souhaitait pour eux. Des hommes et des femmes prisonniers de cet iceberg de pierre.
Et tout en attendant, ils fument. Comme les futurs pères, impatients, attendant que l’île donne le jour à sa réalisation. Mais l’île n’accouche jamais. Ou plutôt : elle accouche lentement, comme la lave sous-marine qui à peine née, rouge, aussitôt s’assombrit, froide. Les gens débarquent des villages, avec leurs bonnets sur la tête et leurs chaînes d’argent bien en vue, sans crainte des voleurs, pourquoi aurait-on l’idée de voler dans une île qui ne va nulle part ?
Ce qui vient d’ailleurs est dangereux, parce qu’il nous rappelle… Nous devons faire semblant de croire que notre monde est rond et de considérer la renaissance comme un progrès. Pour ne pas finir la tête rasée à regarder le plafond…
Et les vagues vont et viennent en direction de la profondeur. De ce qui est.
Et la beauté des visages perd sa raison d’être pour se convertir en immédiateté, avec une sensation de « déjà vu ». On vit et on meurt entre les quatre murs d’une île, en écoutant la rumeur gênante de la chaloupe. Le son troublant des choses qui peut-être s’en vont. Et flottant entre le ciel et la terre, à l’embouchure du port comme si c’était l’embouchure du monde, le géant plane. Les bras ouverts et la gueule fendue en deux, à nous dire de ne pas partir. Et nous y voyons une supplique presque impuissante qui nous fait reculer des bateaux vers les terrasses, et des terrasses vers les cavernes ; des creux profonds vers l’intérieur de notre impossibilité.
Et les eaux continuent de courir vers l’infini.

Possidónio Cachapa, O mar por cima, Oficina do Livro, 2000.

Revenir à la page d’accueil
analyse fréquentation web