Pas de miracle…
Bleutée, comme seule une lune argentée sait la refléter, la lumière du soleil se déversait sur la terre, éclairant les formes de gens venus de nulle part et en route pour des destinations encore plus incertaines. Ils cheminaient ainsi depuis des jours, muets et obstinés, persuadés qu’il n’y avait que le mouvement pour assurer la survie de souvenirs qu’à cet instant ils désiraient surtout pouvoir oublier ; faisant fi des informations disant qu’ils étaient désormais en sécurité, que rien ni personne ne leur interdirait de s’asseoir, de parler et de tenter de manger et de boire le peu qui, en fin de compte, finirait par suffire pour tous. Finalement, ils s’arrêtèrent, l’un après l’autre, à mesure que se défaisait la file indienne qu’ils formaient. Une plage immense s’ouvrait devant leurs yeux, empêchant leur progression. La mer était calme et les vagues se déroulaient doucement, presque sans écume. Même s’ils ne s’en aperçurent pas tout de suite, le sable humide les consolait, en quelque sorte, de leurs longues journées de marche. Et ils attendaient, immobiles. Le dernier à apparaître fut un vieillard à la barbe blanche en bataille, appuyé sur une branche fourchue à la base. Il faut continuer, déclara-t-il. L’océan n’est pas un obstacle, assura-t-il devant les airs dubitatifs. Vous n’avez jamais entendu dire : le peuple élu de Dieu peut marcher sur la mer car les eaux se séparent ? Et, joignant le geste à la parole, il avança, résolu. Il perdit un peu l’équilibre, avec le premier reflux, mais reprit presque aussitôt une posture digne. Il avait déjà de l’eau jusqu’à la poitrine, et personne ne voyait s’ouvrir le chemin promis. De deux choses l’une, commenta le jeune homme arrivé le premier sur la plage, soit nous ne sommes pas le peuple élu, soit Dieu ne s’est pas encore rendu compte que nous étions là. Soit il n’existe pas, gémit un autre sous la douleur allumée par le sel dans les profondes balafres sanglantes qui déchiraient ses pieds nus. Du vieillard, on n’apercevait déjà plus que le bâton fourchu à la base, qui flottait au gré des vaguelettes. Peut-être qu’il n’en a plus besoin, risqua le même jeune, que les eaux le soutiennent.
José Mena Abrantes, ( Angola) Caminhos des-encantados, Caminho, Lisbonne, 2000.
Deux nouvelles de ce recueil seront publiées en janvier 2011 dans la revue Black Herald Press, en portugais et en français.