Archive pour décembre, 2010
Le professeur de latin
Júlio Dinis
Et c’était monsieur Bento Pertunhas, personnage important de la région, à l’intelligence et la sollicitude duquel étaient confiées plus d’une charge. Outre le fait qu’il exerçait, de façon intérimaire permanente, comme souvent la fonction d’intérimaire est permanente dans notre pays, le métier qu’il appelait « directeur de la poste », il possédait l’une des chaires de latin et de latinités à l’aide desquelles on cherche au Portugal à fomenter dans les départements ruraux le goût pour les lettres anciennes ; il était aussi régisseur et directeur de la philharmonique du pays, décorateur de l’église les jours de fêtes, répétiteur de « autos » et intermèdes populaires, et, lorsque Dieu le voulait, également auteur de quelques-uns.
[…]
Afin de couper court à la divagation que l’homme avait entreprise au sujet d’un certain voyage à Lisbonne, Henrique lui demanda si le courrier n’était pas encore arrivé.
– Vous savez bien que non, Excellence, répondit monsieur Bento Pertunhas ; mais il ne devrait pas tarder. S’il marchait vite, l’homme qui va chercher la malle en ville pourrait déjà être là. Tous ces gens, que vous voyez à la porte, Excellence, l’attendent. Aujourd’hui, qu’arrivent les lettres du Brésil, tout le monde ne parle que de ça. Ils mettent ma patience à bout. C’est un enfer ! J’occupe ce poste en tant qu’intérimaire, l’employé étant paralytique ; parce que je suis professeur de latin.
- Ah ! … Ne pas pouvoir suivre sa vocation !
- Vous n’avez quand même pas trop à vous plaindre. Cultiver les lettres latines doit vous procurer des satisfactions ; parce qu’enfin, pour qui a la fibre artistique, la lecture des poètes est déjà une consolation contre les aigreurs de la vie.
Maître Pertunhas fixa Henrique, les yeux écarquillés.
Un accident
Lorsque, par distraction divine, la première gelée tomba sur le Paradis, Adam trouva sur le sol le fruit défendu. Il mordit dedans, sut qu’il n’était pas bon, le jeta loin de lui, et le fruit frappa malencontreusement Eve, qui s’était accroupie pour chercher des fraises des bois. Effrayée et très en colère, elle le lui relança en criant :
- Maintenant tu vas manger cette saleté, sinon je te la fais avaler de force!
Adam mangea, et vit qu’Eve n’avait rien sur elle. Il se regarda et fut étonné. Il courut pour raconter sa découverte. Dieu l’écouta, imperturbable, et demanda :- Et après?
Et, sans attendre, il lui tourna le dos.
Adam s’exclama :
- Vous aussi, Vous êtes nu!
- Tu es vraiment effronté, dit-Il seulement, très calme, et Il le chassa.
En courant sans but, Adam trébucha sur Eve qui, entre temps, s’était détournée du droit chemin, et lui tomba dessus. Au premier instant, à la première seconde, et même après, il se sentit si bien qu’il n’eut pas une pleine conscience de la chute. Ensuite, il oublia tout, et ne retrouva plus le chemin du retour. Il ne lui resta en mémoire que le goût de ce fruit gâté, et il ne réussit jamais à savoir quel goût avait le fruit originel.
Dimíter Ánguelov , Furacão no labirinto, Europa-América, 1996