Onc’Picsou
Quand on m’a attribué la bourse de création littéraire, j’ai demandé qu’on me remette les deux cent cinquante mille escudos en pièces de un, de l’émission la plus ancienne. Cette requête de ma part a paru à certains une extravagance intolérable, mais d’autres, de hauts responsables plus sensibles, ont tout de suite vu en elle le germe de l’inspiration. Et, peut-être parce qu’à cette époque-là on débattait du problème de l’avortement, ils ont consenti à ce que les fourgons jaunes de la PROSIGUR me remettent tous les mois la subvention. Quand on a déchargé pour la première fois les dix sacs de 750 kilos de pièces et qu’on a eu l’amabilité de me les monter jusqu’au deuxième étage, j’ai eu l’impression d’être un prix Nobel. J’ai tout rassemblé en un gros tas et j’ai sauté au milieu. J’ai plongé jusqu’au plancher, je me suis relevé purifié par le bronze, extasié par cette musique bon marché mais agréable. A un certain moment j’ai perdu la notion de la différence entre liquide et solide, entre bonheur et inspiration, entre la réalité et son prix.
J’ai replongé dans cet oasis d’espérance et je me suis vu passer devant le Ministère du Désert et observer l’édifice opulent, je dirais luxueux ; je n’ai pas fais attention et j’ai failli tomber sur un tas de sable. Au milieu, enterré jusqu’au cou, il y avait un monsieur bien habillé (je l’ai déduit d’après sa cravate, le reste ne se voyait pas) et je lui ai demandé instinctivement :
- Vous êtes tombé ?
Et aussitôt j’ai reconnu le ministre en personne.
- Monsieur le ministre, je peux vous aider ? ai-je voulu dire, mais les mots ne sont pas sortis de ma gorge. Parce que je me suis tout de suite rendu compte qu’on n’aide pas un ministre dans ces circonstances.
- Votre Excellence semble accrochée au sable comme une tique à un chien, si vous me permettez l’expression. Essayez de vous élever.
- M’élever vers où ? C’est tout ce qui nous reste - il désigna le sable du menton.- Du sable ou du désert ?- Des deux.- Mais, et le sable que nous vendions aux Arabes ?…
- Les Arabes ! Ils n’ont plus besoin de notre sable… Ils bâtissent avec des pierres précieuses, ou dans le pire des cas, semi-précieuses.
Je frissonne et je me vois penché sur un éclat d’opale que j’ai acheté au Cap Espichel : s’il était de la taille de la pierre entière, je ne me serais pas souvenu de la bourse de création littéraire et je n’aurais pas trouvé le ministre dans une situation aussi embarrassante.
Dimíter Ánguelov , Trinta contos até o fim da vida, &etc, 1998
2 commentaires »
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très beau texte!! ah oncle Picsou…………………
bonne journée!
Marie
Dernière publication sur toujours avec le sourire : Un peu de culture
Merci de ta visite, Marie !