le m’fiti
Zambèze ( mocambique3.blogs.sapo.pt)
Ils furent, ceux qui arrivèrent jusqu’à cette nouvelle terre, emmenés sur la véranda du magasin de Mama Mère. Et sur le terre-plein devant, sous les arbres, ceux qui ne rentraient pas. La généreuse femme ordonna que soit distribué du thé chaud pour tous, car elle ne pourrait pas donner grand chose de plus sans l’aide du gouvernement. Et ces survivants buvaient déjà en leur nouvelle qualité – celle de réfugiés – car paysans et pêcheurs, ils avaient cessé de l’être à partir du moment où ils avaient traversé le fleuve. Ce sont à présent des réfugiés et le propre des réfugiés c’est de remercier. Le propre des réfugiés, c’est de trembler de froid, de regarder autour d’eux en des quêtes successives, de pleurer de bonheur et de tristesse. Plus tard viendront les camions – une longue file bruyante – qui les emmèneront à Unkwini, le camp de réfugiés, où leur nouveau statut sera officialisé. Et il ne pourrait en être autrement car s’ils restaient tous à Feira, qui n’est qu’une bourgade, ils dépasseraient en nombre les habitants, la défigurant et brouillant sa géographie. Il n’est pas normal qu’une ville ait pour occupants les habitants d’une autre. Zumbo c’est Zumbo et Feira c’est Feira, et c’est ainsi que cela doit continuer à être malgré cette tragédie.
Il reste à présent ceux qui n’ont pas été repêchés et qui entament une traversée différente. Ceux qui ne savaient pas nager ou s’en sont fatigués. Et ceux-là, qui sont nombreux, se donnent la main ou choisissent de faire seul le nouveau chemin, selon les cas. Ils se débattent par intervalles, faisant le geste qui est celui, tout à la fois, de demander de l’aide et de dire adieu, puis se calment. Ils se laissent aller, entrant dans les eaux claires, presque blanches, où l’on entend encore les bruits hétéroclites de la catastrophe. Là les poissons sont presque des oiseaux qui sautent hors de l’eau comme s’ils voulaient voler eux aussi, mangeant ce qui tombe à la surface par distraction et reste là à flotter, cherchant le brillant de leur peau argentée dans la lumière du soleil. Ils passent ensuite les eaux bleues, de plus en plus chargées, où les sons et les odeurs s’atténuent et pratiquement disparaissent, surprenant les poissons, qui pour la première fois se trouvent nez à nez avec leurs pêcheurs. Ils poursuivent leur descente de plus en plus lente, pénétrant dans les eaux noires du fond lentement, avec des gestes larges, comme si au lieu d’être des paysans fuyant la guerre ils étaient des cosmonautes perdus dans la nuit infinie de l’espace. Là où la plupart des poissons ne se risquent pas à nager. En l’absence de lumière qui alimente la vision des choses dominent les petits bruits épars et absurdes, un tintement ici, un bouillonnement là, et ce sont ces bruits qui orientent les habitants de ces eaux ultimes, les froides eaux de la mort.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.