Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour février, 2011

réalisme

Posté : 28 février, 2011 @ 8:22 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 2 commentaires »

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Il tremblait entièrement – je ne sais si c’était de peur ou de surprise. Je lui tendis un livre et je cherchai à le calmer :
- Appuie-toi sur cette prose, elle est plus solide.
Mais il n’entendit pas et poursuivit :
- Ce chien était un rêve en chair et en os, non, un chien basé sur des faits réels.
- Il bougeait ? Il était vivant ?
- Pour bouger, il bougeait. Il a même essayé de me mordre. Mais ça ne voulait pas dire qu’il était vivant. « Basé sur des faits réels », c’est comme ça qu’ils me l’ont présenté.
- Alors c’est évident qu’un chien quelconque, pardon, quelqu’un a tiré ce chien d’une fiction, d’un roman ou d’une simple nouvelle.
- Non, ça non. Il s’en est fallu d’un cheveu qu’il ne me morde.
- C’est ça – ces chiens, ces prosateurs, dis-je, créent des chiens plus féroces que les professionnels et ils nous les lâchent dessus sans prévenir et sans le moindre sens des responsabilités. Et il flairait, il examinait l’atmosphère ?
- Non, ces chiens-là suivent une autre méthode, ils sont tout ouie, ils suivent la voix de leur maître, de leur créateur.
- De Notre Seigneur ?
- Non, de leur seigneur à eux. C’était une voix de chien. Comme ça : … Je n’arrive pas à la reproduire. Qui est-ce qui peut reproduire un truc basé sur des faits réels ?
Ses poils se sont dressés, il a poussé un hurlement, il a avancé et il a essayé de me mordre, et il n’est pas arrivé à reproduire – ce n’était pas un chien en chair et en os mais seulement un chien en âme.
Je lui ai donné un coup de pied que je ne parviens pas à reproduire ici.

Dimíter Ánguelov, Partida incessante, Nova Ática, 2001

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Excès d’imagination

Posté : 26 février, 2011 @ 8:00 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 6 commentaires »

Excès d'imagination dans - époque contemporaine dimite10 

 Parque das Merendas, Photographie Dimíter Ánguelov

- Je vois un visage, une bague, une rayure sur le capot  de la voiture et je transforme ça aussitôt en histoire. Jusqu’à un simple point final. Un excès d’imagination qui ne me laisse pas de repos.
- C’est de la folie, dis-je. L’imagination ne fait jamais d’excès. Même pas chez les fous.
- Et la folie ? Ce n’est pas un excès ?
- Les fous n’inventent pas d’histoires. Ou, s’ils en inventent, ils ne le savent pas. Pour eux tout est réel.
- Pour moi tout est fiction. Même la poésie. La musique aussi. Même cette conversation que nous avons me paraît être une histoire. Regardez cet arbre. Ce n’est pas un pommier, et il n’est pas en fleur. N’imaginez pas que vous voyez ce dont je suis en train de parler. Mais moi, quand j’observe une seule fleur de pommier, ça me rappelle toutes les fleurs de tous les pommiers possibles. Et je vais plus loin. Je me souviens de tous les gens qui ont vu des fleurs de pommier. Je sais pourtant qu’aucun de ces pommiers n’est réel. Il n’y a que les fleurs. Ou, si vous voulez, les sentiments…
- Oubliez votre enfance… on ne peut pas retrouver l’enfance. Ni les pommiers. Ni les noyers. Pensez à la vieillesse !
- Si j’oublie mon enfance, j’oublie tout. Tout est lié.
- Otez-vous cette idée de la tête. Vous n’avez qu’une seule possibilité : atteindre la vieillesse. Jamais l’enfance. C’est pour ça que les gens disent : « il est mort de vieillesse » et jamais « il est mort de jeunesse ». Retrouvez cette possibilité. Je répète : faites une croix sur votre enfance. Une grande. Vous avez besoin de temps pour vieillir ! N’oubliez pas.
- Où vais-je trouver une telle croix ? demanda-t-il, s’adressant à quelqu’un d’invisible mais d’omniprésent.
Je l’ai laissé appuyé au dossier d’un banc la tête levée, en train de regarder les arbres. Des arbres aux frondaisons immenses qui dissimulaient d’innombrables croix, mais aucune de la taille de celle qu’il recherchait.

Dimíter Ánguelov, Furacão no labirinto, Europa-América, 1996

L’aventure d’Avalor

Posté : 22 février, 2011 @ 8:50 dans - moyen âge/ XVIème siècle, littérature et culture | 2 commentaires »

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Il fut alors certain d’avoir rejoint la terre, et bien que cette voix l’eût aussitôt ému de compassion, toutefois parce qu’il en portait en lui une autre plus grande qui alors le tenait plus encore, il s’imagina qu’il s’agissait de cette terre d’où il était parti, et se hâtant du mieux qu’il put, triste de lui-même et de son sort, il reprit les rames avec ces mains où déjà lors de ce voyage s’étaient tant de fois formées des ampoules, et où tant d’autres fois les ampoules s’étaient percées et s’étaient muées en sang. Mais pour autant qu’Avalor s’efforçât, il ne put jamais vaincre les vagues qui l’attiraient à terre, et elles s’étaient déjà, quand il reprit ses sens, rendues maîtresses de la barque, et lui ne le vit pas, tout occupé de lui-même et des rames ; il ne s’en aperçut que lorsqu’une haute vague, qui les couvrit d’écume lui et la barque, envoya celle-ci au milieu des écueils qui la brisèrent en plusieurs endroits.
- Dieu me vienne en aide ! disait-il.
Avec énergie, il s’agrippa à des rochers qui émergeaient un peu de la mer, et l’eau, avec un terrible vacarme, se répandit entre tous ces rochers, et une partie, se brisant contre cette roche haute, lança les gouttes d’eau de la mer vers le ciel, qui avec la force ou la réverbération de l’air, ou quoi que ce fût d’autre, éclairaient comme des chandelles, et à ce moment-là, en peu de temps toute cette eau retourna à la mer qui l’attendait, arrivant déjà du large en grossissant, comme si elle s’armait pour se venger de ces rochers qui troublaient ses eaux.

Bernardim Ribeiro, Menina e Moça, première édition Ferrare 1554

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Genèse

Posté : 21 février, 2011 @ 8:00 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

 

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« Eve, le serpent et la mort« de Hans B. Grien (1510-15)

Avec le temps, un temps vague et indéterminé, Adam et Notre Seigneur devinrent amis. Et comme ni l’un ni l’autre n’avaient eu d’enfance, ils inventaient tous les jours un jeu différent, une distraction – toujours agréable, puisque le mauvais goût n’existait pas encore.
- Aujourd’hui j’ai envie de créer des animaux, dit-Il en tapant sur l’épaule d’Adam.
- Des animaux? Je ne comprends pas…
- Des choses animées par l’âme, des choses qui bougent…
- Je sais !… le feu fait bouger.
- Pas du tout, le feu ne fait bouger que ce qui est près de lui.
- D’accord, conclut Adam. Et comment on fait?
- Pas «on». C’est moi qui fais.
- Mais comment tu fais si tu n’en as jamais vu?
- Comme ça: on dit les consonnes et les voyelles au hasard, et on voit ce que ça donne.
Et ils se mirent à prononcer et à créer et ils s’amusaient comme des fous. Ensuite, le Seigneur se contentait de dire : « Va-t-en » et Adam poussait l’animal en disant : « Adieu ! »
- «Chat», dit Adam.
- Cette merveille reste avec moi. Ne touche jamais cet animal même pour le caresser. «Chien!»
- Celui-là, je le veux ! Regarde-moi ces yeux. Si je me penchais sur l’eau avec lui, on dirait que nous ne sommes qu’une seule et même chose.
- Garde-le, si tu veux, mais loin d’ici… je me repens même de l’avoir créé. Mais bon.
- «Chauve-souris», dit Adam.
- Va au diable! s’exclama le Seigneur, tout tremblant.
- Qu’est-ce que tu dis? C’est quoi le «diable»?
- Je ne sais pas trop. C’est quelque chose que je ressens quelquefois à l’intérieur de moi.
- Cela ne doit pas être un animal. «Athée!»
- C’est pire que toi et le diable réunis. Sois maudit ! Tout est fini entre nous.
Et Il l’abandonna au milieu de la multitude des animaux, qui jusque là vivaient en parfaite harmonie. Mais, lorsque le Seigneur s’éloigna, ils se mirent à rugir, à grogner, à montrer les dents, à hurler. Pour la première fois Adam éprouva une sensation d’étrangeté et cria :
- J’ai peur!
Et ce qui l’effraya le plus, c’est qu’il ne savait pas exactement ce que ces mots voulaient dire. Alors, le chien s’approcha et lui lécha la main. Adam sentit sa chaleur et se détendit un peu, l’entoura de ses bras et se mit à pleurer. Il vit quelques gouttes tomber sur le sol et regarda le ciel. Peut-être parce qu’il étaient émus, les autres animaux s’éloignèrent et laissèrent en paix ces deux âmes jumelles. Une paix solitaire, mi-canine, mi-humaine. Jusqu’au jour où se planta devant Adam l’animal le plus étrange et le plus fascinant, qui dit avec un naturel troublant :
- C’est moi, Eve.

Dimiter Anguelov, Furacão no labirinto, Europa-América, 1996

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Tradition

Posté : 19 février, 2011 @ 10:11 dans - époque contemporaine, littérature et culture, musique et chansons | Pas de commentaires »

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Gabriela Mendes (Cap vert)

mémoire morte

Posté : 18 février, 2011 @ 9:13 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 4 commentaires »

 

 

 

mémoire morte dans - époque contemporaine lavage10

 

 

*

Un jour je ne me suis pas présenté à la mairie pour faire mettre à jour mon disque dur. Ils m’ont supprimé mon code secret. Et à partir de là, j’ai été perdu.
- C’est dans le monde d’avant que vous êtes perdu. On n’utilise plus le disque dur depuis pas mal d’années. Je ne sais même pas comment je m’en suis souvenu. Ce souvenir pourrait d’ailleurs me causer des ennuis.
- Et alors, qu’est-ce qu’on utilise maintenant ?
- Un appareil très sophistiqué. Vous n’avez même plus besoin d’aller à la mairie. Vous (vous, non, parce que vous avez dépassé les délais), vous, disais-je, n’échappez pas à la mise à jour, même en vous cachant dans le coin le plus sombre.
- Et comment s’appelle ce tyran artificiel ?
- Il n’est déjà presque plus artificiel, bien qu’il ne s’adapte à aucun nom. C’est quelque chose qui vous use un nom en un rien de temps, absolument délirant, un truc d’une rapidité qui précède le phénomène. La quintessence de la double cellule « information-désactualisation ».
- Mais il doit y avoir des spécialistes en la matière.

(more…)

l’honnête homme

Posté : 15 février, 2011 @ 9:30 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 2 commentaires »

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Signe extérieur de richesse (photographie de l’auteur)

- Mais finalement, qu’est-ce qu’un honnête homme ?

- Eh bien. Un honnête homme n’accélère jamais le pas, sauf quand il est en danger de mort. Il ne fait jamais de mouvements brusques, à moins qu’il ne soit piqué par un insecte rare ou mordu par un animal de moyenne ou de grande taille. Et même dans ce cas, il n’oublie pas d’imprimer à ses mouvements, dans son étonnement ou dans son déplaisir, une certaine grâce. Y compris avec les humains : un honnête homme ne perd jamais patience, ne fait jamais preuve de grande aversion ou de révolte, à moins qu’il ne se voie forcé de se joindre à une attitude collective ou, ce qui est la même chose, lorsque cela l’arrange, pour des raisons de force majeure, bien entendu. Un honnête homme ne dit jamais de mal de personne, bien qu’il puisse agir comme il l’entend, et recourir aux moyens… exceptionnels. Parce que l’honnête homme est une exception par excellence.
- Vous voulez dire que c’est une rareté, de nos jours ?
- Il a de tout temps été une rareté. Toujours difficile à identifier. Pour une question de discrétion, de modestie, et toutes les autres vertus qu’on lui attribue habituellement.- Dans ce cas c’est un animal solitaire.
- Solitaire, il peut l’être ou le devenir. Mais un animal, non. C’est exclu dès le départ.

Dimíter Ánguelov, Trinta contos até o fim da vida, 1998

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L’enfant

Posté : 15 février, 2011 @ 8:37 dans - époque contemporaine, littérature et culture, Poesie | 2 commentaires »

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Maria Bethânia, O poema do menino Jesus (Alberto Caeiro alias Fernando Pessoa)

 

 A moi, il m’a tout appris.
Il m’a appris à observer les choses.
Il me montre tout ce qu’il y a dans les fleurs.
Il me montre comme les pierres sont jolies
Quand on les tient dans la main
Et qu’on les regarde bien.

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