mémoire morte
*
Un jour je ne me suis pas présenté à la mairie pour faire mettre à jour mon disque dur. Ils m’ont supprimé mon code secret. Et à partir de là, j’ai été perdu.
- C’est dans le monde d’avant que vous êtes perdu. On n’utilise plus le disque dur depuis pas mal d’années. Je ne sais même pas comment je m’en suis souvenu. Ce souvenir pourrait d’ailleurs me causer des ennuis.
- Et alors, qu’est-ce qu’on utilise maintenant ?
- Un appareil très sophistiqué. Vous n’avez même plus besoin d’aller à la mairie. Vous (vous, non, parce que vous avez dépassé les délais), vous, disais-je, n’échappez pas à la mise à jour, même en vous cachant dans le coin le plus sombre.
- Et comment s’appelle ce tyran artificiel ?
- Il n’est déjà presque plus artificiel, bien qu’il ne s’adapte à aucun nom. C’est quelque chose qui vous use un nom en un rien de temps, absolument délirant, un truc d’une rapidité qui précède le phénomène. La quintessence de la double cellule « information-désactualisation ».
- Mais il doit y avoir des spécialistes en la matière.
- En réalité, non. Ce n’est pas non plus à proprement parler de la matière. L’information a atteint un niveau tellement haut que ça ne veut plus rien dire de parler de limite minimum, et la différence entre spécialistes et non-spécialistes a complètement disparu. Il n’y a plus rien à faire.
- Moi, puisque je ne suis pas spécialiste, je réussirais peut-être à retourner les choses…
- Tourner, vous pouvez le faire autant que vous voulez. On ne fait rien d’autre que tourner. Je dirai même plus : tourner est devenu une question incontournable. Mais le plus grave, c’est que la solution est toujours la même : ne pas cesser de tourner. Sans sentir le vertige, sans atteindre au calme.
- De toute façon, le calme ne s’atteint pas. Il se retrouve, si on l’avait auparavant. Qu’est-ce que vous avez derrière l’oreille ? Ah, c’est une fleur sauvage. Une espèce rare. Regardez-vous.
- Pour nous, le rétroviseur ne marche plus. On nous a privés de la faculté de regarder en arrière.
- Tenez le miroir en avant.
- Maintenant c’est la même chose.
- Mettons un terme à la conversation. Vous autres, vous êtes sauvés, vous le premier. Laissez-moi voir la fleur à la loupe. Oui, la fleur a pris racine dans cet appareil diabolique. Espérez. La Nature est de nouveau avec nous. D’une façon ou d’une autre on va récupérer les postes de mise à jour de l’information. Assez d’auto-éclaircissement, mettons fin au soliloque. Ôtez ce monde artificiel de votre tête. Vive la désactualisation naturelle. Attendez. Je me suis trop exalté. Le souvenir ne me fait déjà plus souffrir. Le repentir ne me tourmente plus, l’espoir ne me suffoque plus. C’est ma mémoire qui me fait mal. En un seul point – là où est suspendue toute l’existence pour laquelle il n’est pas de mémoire possible. Oubliez, oubliez. Faites de l’oubli la plus belle des informations.
Dimíter Ánguelov, Trinta contos até ao fim da vida, &tc, 1998
4 commentaires »
Flux RSS des commentaires de cet article.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.
hmm,science différente,mais vision,tout de même;;;;
faisons simplement compliqué,en journuit clairblanc
neurologiquement,de ma logique,,hmm,,,,,,que coule
nos mots sincéres,,,,,,,,amitiés en passant la station
Dernière publication sur Toile : Je ne t' écrirai plus //
Merci, Toile, je vois que les amoureux de la logique déconstruite se comprennent à demi-mots !
Amitiés à toi.
Hier dans le ciel de bretagne , j’ai vu une mouette qui planait , j’ai pensé à toi . C’est un drôle de truc la mémoire … Amicalement
Je suis bien contente d’avoir de tes nouvelles…reviens quand tu veux. Oui, un drôle de truc, la mémoire.
Amicalement