L’aventure d’Avalor
Il fut alors certain d’avoir rejoint la terre, et bien que cette voix l’eût aussitôt ému de compassion, toutefois parce qu’il en portait en lui une autre plus grande qui alors le tenait plus encore, il s’imagina qu’il s’agissait de cette terre d’où il était parti, et se hâtant du mieux qu’il put, triste de lui-même et de son sort, il reprit les rames avec ces mains où déjà lors de ce voyage s’étaient tant de fois formées des ampoules, et où tant d’autres fois les ampoules s’étaient percées et s’étaient muées en sang. Mais pour autant qu’Avalor s’efforçât, il ne put jamais vaincre les vagues qui l’attiraient à terre, et elles s’étaient déjà, quand il reprit ses sens, rendues maîtresses de la barque, et lui ne le vit pas, tout occupé de lui-même et des rames ; il ne s’en aperçut que lorsqu’une haute vague, qui les couvrit d’écume lui et la barque, envoya celle-ci au milieu des écueils qui la brisèrent en plusieurs endroits.
- Dieu me vienne en aide ! disait-il.
Avec énergie, il s’agrippa à des rochers qui émergeaient un peu de la mer, et l’eau, avec un terrible vacarme, se répandit entre tous ces rochers, et une partie, se brisant contre cette roche haute, lança les gouttes d’eau de la mer vers le ciel, qui avec la force ou la réverbération de l’air, ou quoi que ce fût d’autre, éclairaient comme des chandelles, et à ce moment-là, en peu de temps toute cette eau retourna à la mer qui l’attendait, arrivant déjà du large en grossissant, comme si elle s’armait pour se venger de ces rochers qui troublaient ses eaux.
Bernardim Ribeiro, Menina e Moça, première édition Ferrare 1554