Lusopholie

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Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 3 mars, 2011 @ 9:10

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– João Lourenço, le service que j’ai envoyé Fernand Alvares vous demander (mais je vois qu’il m’a laissé cette tâche) était que vous veniez avec moi à Ulgueira pour aller chercher un lépreux. C’est le devoir de l’Hospice, à qui appartient la léproserie, d’aller le voir et de l’interner, afin qu’il ne puisse nuire aux autres. C’est pour cela que le prévôt doit le voir, ainsi que le scribe, pour lui explique le règlement et le conduire à la léproserie.
- Je sais. C’est cela, alors, que vous attendez de moi.
- Est-ce que cela vous dérange ? J’avais pressenti qu’il ne vous expliquerait pas, et que par conséquent…
J’ai essuyé la poussière sur ma manche.
- Si cela me dérange ? Disons que oui. Mais cela ne me trouble pas. Il est sûr que je préfèrerais ne pas le faire, pas plus que je ne désirerais attraper la lèpre.
- Que ceci ne vous inquiète pas. J’ai déjà vu beaucoup de lépreux, je suis allé maintes fois à la léproserie, et le mal ne m’a jamais atteint, pas plus que le scribe, ni les gens qui s’occupent d’eux à Saint Pierre. Je me demande parfois la raison de tant de dégoût et de tant de peur, puisque même le bisaïeul de Monseigneur le Roi qui gouverne en ce moment le royaume était aussi lépreux, à ce qu’il paraît, d’après ce que racontent les anciens. Cela ne l’a pas empêché d’avoir plusieurs enfants, dont deux ont été rois. Non, décidément, ne vous inquiétez pas. Quant à l’après-midi que nous perdons, elle vous sera payée, comme nous le devons chaque fois que nous faisons perdre du temps à un tabellion


- Laissez cela, nous en parlerons plus tard. Ne vous faites pas de souci, prévôt. Quant aux lépreux… Vous savez que tout ce qui est différent nous incommode. Un lépreux, un étranger… Comme si ce n’étaient pas des créatures de Dieu, ou comme s’ils étaient en dehors de son ordre naturel. Mais finalement la peur est en nous, et non en ce que nous craignons. Alors, prévôt, nous y allons ? Le prévôt, secrètement reconnaissant à Dieu autant qu’à moi, a fait avancer sa monture, et nous avons poursuivi notre route jusqu’à Ulgueira. – Savez-vous que certains n’auraient pas accepté cette tâche ? – Je vous crois, ai-je répondu. Je ne pense pas que ceci soit à mon honneur, mais plutôt à leur déshonneur. Le prévôt a ri. A Ulgueira, nous nous sommes arrêtés à la maison du lépreux, qui nous a ouvert la porte. En entrant, j’ai remarqué qu’il avait la peau blanche en certains endroits, rouge en d’autres, mais qu’il ne présentait pas les pustules ou les croûtes que les lépreux présentent habituellement. Ou du moins que nous pensons que les lépreux doivent présenter.
- Le physicien vous a déjà vu ?
- Vous savez bien que oui. N’est-ce pas lui qui vous a prévenu ?
Le lépreux, dont l’aspect n’était pas, finalement, repoussant, a rassemblé des affaires dans un sac.
- Vous savez ce que vous devez faire…
- Je le sais. Rassurez-vous, prévôt. C’est pour cela que je rassemble mes affaires. Quant à ma famille, elle vit à présent dans une autre maison, près d’ici.
Je voyais bien que le prévôt était nerveux. Comment pouvait-il en être autrement ? Même si nous avons déjà connu maintes situations semblables, il est vrai que, comme l’avait dit une fois Gomez Preto, il y a une partie de nous qui ne s’habitue jamais à la douleur et à la souffrance des autres. Et de nous trois, il était facile de voir que c’était le lépreux qui était le plus calme et serein. Comme dans un miroir d’abnégation, on voyait qu’il acceptait son destin.

Sérgio Luís de Carvalho, Le bestiaire inachevé (Anno Domini 1348), Phébus, 2003

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