incompatibilité
Carl Ray, Evil Serpent
- Ce jour-là, poursuivit Leónidas, ma vie a été gâchée. Le bon est devenu mauvais et le mauvais s’est étendu pour occuper tout l’espace de tous les jours. L’eau est entrée dans la terre et le feu est entré dans la terre aussi. Tous deux sont entrés en moi et tout s’est mélangé. Je n’ai jamais plus eu de calme pour attraper du poisson, pour ramener à manger à la maison. Même pas pour ramer. Ma pirogue est par là à s’enterrer dans le matope, avec les herbes qui poussent autour, (les soleils que j’avais dessinés sur ses flancs sont déjà ternis et tristes, aurait-il pu ajouter). Le filet sert encore car mon fils Jonas l’utilise quand il embarque dans les almadies des autres. Les enfants se moquent de moi, ils me suivent en chantant quand je passe sur le chemin. La nourriture que je mange, même si j’y mets beaucoup de sel, n’est jamais salée. Et je ne peux même pas boire de l’eau car ma gorge n’arrive pas à avaler. J’ai toujours mal à la tête, jour et nuit, on dirait qu’elle va exploser.
- Et pourquoi ce malheur? L’administrateur Sigaúke lui donnait encore un petit moment avant de mettre un terme à la conversation et de retourner à sa paperasse.
Leónidas Ntsato essuya la sueur de son front du dos de la main, passa sa langue sur ses lèvres sèches et continua :
- Tout ça parce que j’ai été visité par les esprits. Ils sont entrés dans mon corps et c’est depuis ce jour que je n’ai plus de paix. Ils crient sans cesse et je n’arrive pas à comprendre ce qu’ils veulent. C’est pour ça que je n’arrive pas à dormir. Ils m’ont emmené chez le nganga Gomanhundo mais il n’a pas réussi à arracher les diables. Ils sont bien profonds. Et j’ai souffert, j’ai souffert, mais aujourd’hui j’ai trouvé la solution et c’est pour ça que je suis venu vous parler, camarade administrateur.
- Tu as trouvé la solution ? Et quelle est cette solution?
- Je peux vous l’expliquer. Personne ne veut m’écouter et les esprits ne peuvent pas sortir, ils restent là-dedans à parler avec moi, ils cherchent une sortie.
L’administrateur avait entendu parler des mvula, ces médiums qui parlent avec la voix des esprits, un médium pour chaque esprit, et il avait idée qu’ils étaient bien plus effrayants que ce pauvre fou de Leónidas Ntsato.
- Je regrette, mais je ne peux pas t’aider. Tu es mvula de quoi ? Du lion ?
- Oui.
- Tu ne serais pas mvula du serpent, aussi ?
- Si.
Sigaúke fit une pause pour réfléchir. A l’école d’administrateurs on lui avait appris qu’il fallait en finir avec ces obscurantistes en faisant valoir le matérialisme et la loi. Toutefois, les circonstances l’avaient obligé à la prudence dans cette voie, pour éviter de pires maux, c’est pourquoi il avait opté pour un équilibre.
Les choses existaient mais c’était comme si elles n’existaient pas car il ne donnait pas de renseignements officiels sur ce qui ne l’intéressait pas. Et ce dont il n’avait pas besoin en ce moment, c’était d’esprits et de médiums en conflit ouvert les uns avec les autres. Il décida alors d’ironiser :
- Ah, alors je comprends pourquoi tu es devenu fou. Tu as tous les esprits qui se disputent à l’intérieur de ta tête. Et bientôt tu auras aussi les autres médiums qui se disputeront avec toi et qui te mettront des coups de bâton sur la tête.
C’était mal de la part de l’administrateur Sigaúke, un étranger, de toucher aux esprits du pays.
João Paulo Borges Coelho, As duas sombras do rio, Caminho, Outras margens, 2003 (2ème édition 2004)
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Nouveau sur Unblog, je viens de créer mon blog consacré à l’écriture et c’est la raison pour laquelle je me permets de poster ce commentaire sur les articles de cette catégorie. Peut-être ferez-vous une petite visite chez moi, en tout cas, je viendrai régulièrement chez vous. j’ai noté dans ma présentation qu’il était possible de communiquer par la messagerie privée, mais aussi qu’il était possible de publier à plusieurs sur mon blog, ce qui serait une expérience intéressante, bien que je sache qu’il est déjà dificile de publier sur le sien.
Je vais aller faire un tour chez vous, Virgile.
Merci de passer me voir…
A bientôt