Archive pour mai, 2011
Avertissement
Casa de Portugal (Beira, Mozambique)
Il n’est pas vrai que Dionísio Sigaúke, l’administrateur du district de Zumbo, soit un individu autoritaire. Au contraire, il existe même une histoire que tout le monde connaît sans jamais y faire allusion, un épisode qui lui a enseigné les limites de son pouvoir, qui s’est déroulé il y a quelque temps, quand il est arrivé, tout frais émoulu de l’école de Catembe et récemment diplômé. C’était son premier poste. Il en avait pris possession en présence du Gouverneur, qui l’avait présenté à cette population soumise lors d’une joyeuse cérémonie.
Le problème était survenu dans la nuit de ce premier jour, et à partir de là Sigaúke n’avait jamais plus été le même.
[...]
Lorsqu’il avait été enfin prêt, Sigaúke était entré après avoir fait signe au garde qui veillait dehors pour sa sécurité. Après avoir pris son bain, il avait fait un dernier tour au rez-de-chaussée, éteint les lampes d’un souffle et s’était mis au lit. Dans son premier sommeil, un léger frisson l’avait réveillé. La fenêtre entrouverte laissait pénétrer l’éclat métallique de la lune, et la brise provoquait une douce ondulation dans les rideaux.
[...]
Il s’apprêtait à se rendormir quand un geste du bras, pour arranger l’oreiller, lui avait fait frôler un volume à côté de lui, dans le lit. Après un sursaut, il avait laissé sa main glisser sur les contours, de haut en bas, et peu à peu, il avait identifié mentalement une peau douce et chaude, deux petits seins érigés, enfin une femme, qui d’après son impression, devait être assez jeune, presque une fillette.
A présent, il se sentait très troublé ; la surprise, la perplexité, la curiosité et, croissant rapidement, le désir, luttaient en lui âprement, son sommeil déjà clairement envolé. C’est à ce moment-là, alors qu’il était encore tout à fait indécis quant à l’attitude à adopter, que la porte s’était ouverte brusquement. Gêné, il avait frotté une allumette pour allumer la petite lampe de la table de nuit, éclairant un décor pour lui incompréhensible. A côté de lui, on voyait maintenant avec netteté, recroquevillée dans le lit, une gamine effrayée et tremblante, telle une colombe qui ne peut plus voler. En face, sur le seuil de la chambre, trois vieillards aux cheveux très blancs, aux rides profondes, aux yeux jaunes et perçants. Avec un air de totale réprobation.
De la nature des anges
De natura angelorum
Qui t’a dit que les anges étaient blonds ?
Ils ne l’ont jamais été et ne le seront jamais.
Seuls les démons sont blonds.
Les anges ont des cheveux comme les tiens
Et nous regardent comme tu me regardes
Et leur sourire est exactement comme le tien.
En vérité, les anges passent leur temps à essayer de t’imiter
Je les soupçonne même de parler avec ta voix
(mais dans la langue des anges, que seuls toi et moi comprenons)
Vinícius de Carvalho
autre malchance
quelque temps plus tard ma mère, dans le silence où mon père l’a toujours laissée, a reçu une enveloppe de papier très fin, by air, par avion,
ma chère amie, si je te disais que ce pays semble maudit, tant il y a de maladies, tu ne me croirais pas, si je te disais que tous les jours j’ai envie de m’en aller
ma chère amie, ton obligation principale, comme la mienne et celle de toutes les femmes mariées, est d’accompagner ton mari où qu’il aille et tu dois le faire sans te plaindre parce que les difficultés qu’il affronte hors de la maison sont déjà suffisantes
Alice écrivait des lettres mais ma mère et les autres partenaires n’entendaient rien, on ne peut pas entendre un cri qui vient de l’autre côté du monde,
ma chère amie, je ne sais pas ce que je fais ici
ma chère amie, hier encore j’ai croisé tes enfants, comme ils sont devenus beaux garçons
ma chère amie,
personne n’a entendu Alice crier de l’autre côté du monde,
ma chère amie, mon mari a fait venir les garçons pour noël et une fois de plus nous restons ici, je rêve tant de la métropole qu’il me semble avoir deux vies, le jour ce pays maudit et la nuit notre métropole chérie
et pendant ce temps les lettres allaient et venaient, by air, par avion,
ma chère amie, je ne vais pas pouvoir vivre un jour de plus dans ce pays si rouge qu’il ne peut être né que de l’enfer
avec le temps les lettres d’Alice avaient cessé d’être une nouveauté, ma mère et ses partenaires de canasta ne parlaient presque plus d’Alice, de temps en temps quelques phrases, elle est toujours en train de se plaindre, je n’ai jamais connu personne qui se plaigne autant, c’est sûr que ces gens doivent être différents de nous, pas seulement les nègres, les blancs eux-mêmes qui vivent là-bas sont aussi différents de nous, mais de la à se plaindre autant,
Dulce Maria Cardoso, Les anges, Violeta (Os meus sentimentos), Esprit des Péninsules, 2006
sourire obligatoire
à l’hypermarché Dora ne tourne jamais le dos, un endroit où elle peut à peine bouger, si un client
attention, ne m’abîmez pas mes oignons
de mauvaise humeur s’énerve, Dora sourit et fait plus attention en attrapant le sac d’oignons origine du pays 2Kg, la station météorologique digitale viseur LCD mémoires pour valeurs maxima et minima réveil date et alarme, la serre-tunnel de jardin 14 tuteurs 7 attaches 2 piquets et 2 cordeaux, le paquet de riz caroline extra-long soigneusement sélectionné, les chariots à roulettes multifonctions en matière résistante montage facile, ma Dora fascinée par la quantité de choses dont les gens sont persuadés d’avoir besoin, par la quantité de gens qui sont propriétaires de choses inutiles, Dora reste toute la journée à la caisse du supermarché
écoutez je n’ai pas pris ma journée pour que vous vous trompiez, vous avez passé deux fois les rouleaux de papier hygiénique
à sourire, personne ne se plaint jamais d’elle, Dora sait qu’elle fait partie de l’image de l’hypermarché, c’est la dernière chose que les clients voient du supermarché comme le leur a expliqué le gestionnaire des ressources humaines, d’où l’importance du sourire, Dora est une bonne employée, la meilleure, même pendant la pause, toilettes, salle de repos, machine à café et à sandwichs sous cellophane, une pause disponible en version 5 ou 10 minutes, c’est une bonne employée, la meilleure,
Dulce Maria Cardoso, Les anges, Violeta (Os meus sentimentos), Esprit des Péninsules, 2006
sonate sans clair de lune
Dans la nuit
J’entends un piano qui joue une sonate
Évoquant l’amour qu’autrefois j’ai perdu
Elle me déchire le cœur, cette chanson,
Et cette douleur qui me tue
Augmente le regret que j’ai de toi
Cette sonate dolente apporte le souvenir si triste
D’une vision qui s’éloigne
Et me fait signe
Tu étais si heureuse que tu n’as pas vu
Que ton adieu me faisait mal
Dans la solitude de la sonate
C’est mon âme qui pleure
Le désespoir de cette nuit
Sans clair de lune.
Vinicius de Carvalho (Brésil)