Retour au pays
La gare de Vilar Formosa (www.wrighton.com)
Le voyageur dans le train se souvenait du temps où il était parti, et ce départ avait certes été provoqué par la nécessité mais aussi par la volonté, sans qu’il sache bien distinguer la limite entre les deux. A présent il rentrait, et en observant les maisons qui passaient il sentit la chaleur proche des retrouvailles si longtemps ajournées. Ces maisons qui passaient à l’extérieur de la fenêtre, qui couraient, rapides, en sens inverse, n’étaient pas les siennes, c’est vrai ; mais pas très loin, juste une gare plus loin, il commencerait à voir arriver vers lui d’autres maisons. Et il les reconnaîtrait comme étant celles de sa terre, et il dirait alors quelque chose comme : « Ces maisons sont celles dont je me souviens, ce sont celles que j’ai quittées et où je reviens à présent. »
Et en le disant, il saurait qu’il était chez lui parce que tout était enfin semblable à ce dont il se souvenait depuis tellement, tellement d’années. Un lointain passé finalement proche, si bien que chaque mètre parcouru avait pour lui les odeurs et les bruits qu’il croyait être d’autrefois, même s’ils ne l’étaient pas. Le voyageur s’enfonça davantage dans son siège et ressentit dans ce confort celui de la maison un dimanche matin. En se souvenant du village qu’il avait quitté des années plus tôt et vers lequel il retournait à présent, il pensa que sans doute les choses ne seraient pas très différentes ; il pensa, surtout, que les choses ne pourraient pas être très différentes. Et donc il faudrait que ce soit autant l’effet de sa volonté que de la nécessité, car on ne trahit pas aussi vainement son passé. Son ancien village était le port d’attache de sa mémoire, et si ce port n’était plus le même que celui qu’il s’était rappelé pendant tant d’années, à qui servait-il qu’il revienne ? Bien sûr, il comprenait que, ça et là, il y aurait d’autres maisons. Oui, bien sûr ; et ça et là un chemin, une place, quelques rues même, seraient différents. Oui, sans aucun doute, car les années passent autant sur la terre que sur nous. Et le temps passe sur les cicatrices de la terre comme sur notre peau, et dans les échos de la terre – les bruits de la fin de journée, celui du changement des saisons, celui de l’eau qui coule – comme dans notre voix. Mais l’âme reste dans la terre comme elle reste en nous, car la terre s’obstine tant à être la nôtre, comme notre âme, que nous ne croyons jamais qu’elle puisse changer. C’est pour cela que l’essentiel est de garder toujours des amarres en nous-mêmes. En pensant cela, il s’imagina en train d’arriver et de sortir de la gare, de regarder autour de lui et de reconnaître que tout était pareil, que ce soit dans ce qui était resté immuable, ou dans le peu qui avait pu changer. Et, au bout de la rue que pendant les années où il était loin il n’avait jamais oubliée, il y aurait sa maison de toujours, et même la poussière sur les vitres, les anciennes pénombres et l’odeur de moisi lui seraient familières et lui appartiendraient.
Sérgio Luís de Carvalho, Os rios da Babilónia, Campo das Letras, 2003
3 commentaires »
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Quel magnifique extrait!
Encore un auteur à découvrir!
Merci de ta visite, Lali !
En effet, un bon auteur, dont un seul roman a été traduit en français, hélas.
c’est tout à fait cela, l’ambiance et le sentiment de rapprochement, petit à petit du décor familier que le train permet sans temps mort, comme inexorable.
Cependant pour l’entrée dans les villes cela ne fonctionne pas, il y a trop de désordre, de bric-à-brac et espaces ferroviaires entre le début urbain et l’arrivée en gare.
Merci aussi pour la foto, tout y est délicat…