autre malchance
quelque temps plus tard ma mère, dans le silence où mon père l’a toujours laissée, a reçu une enveloppe de papier très fin, by air, par avion,
ma chère amie, si je te disais que ce pays semble maudit, tant il y a de maladies, tu ne me croirais pas, si je te disais que tous les jours j’ai envie de m’en aller
ma chère amie, ton obligation principale, comme la mienne et celle de toutes les femmes mariées, est d’accompagner ton mari où qu’il aille et tu dois le faire sans te plaindre parce que les difficultés qu’il affronte hors de la maison sont déjà suffisantes
Alice écrivait des lettres mais ma mère et les autres partenaires n’entendaient rien, on ne peut pas entendre un cri qui vient de l’autre côté du monde,
ma chère amie, je ne sais pas ce que je fais ici
ma chère amie, hier encore j’ai croisé tes enfants, comme ils sont devenus beaux garçons
ma chère amie,
personne n’a entendu Alice crier de l’autre côté du monde,
ma chère amie, mon mari a fait venir les garçons pour noël et une fois de plus nous restons ici, je rêve tant de la métropole qu’il me semble avoir deux vies, le jour ce pays maudit et la nuit notre métropole chérie
et pendant ce temps les lettres allaient et venaient, by air, par avion,
ma chère amie, je ne vais pas pouvoir vivre un jour de plus dans ce pays si rouge qu’il ne peut être né que de l’enfer
avec le temps les lettres d’Alice avaient cessé d’être une nouveauté, ma mère et ses partenaires de canasta ne parlaient presque plus d’Alice, de temps en temps quelques phrases, elle est toujours en train de se plaindre, je n’ai jamais connu personne qui se plaigne autant, c’est sûr que ces gens doivent être différents de nous, pas seulement les nègres, les blancs eux-mêmes qui vivent là-bas sont aussi différents de nous, mais de la à se plaindre autant,
Dulce Maria Cardoso, Les anges, Violeta (Os meus sentimentos), Esprit des Péninsules, 2006