Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour la catégorie '- XVIIème/XVIIIème siècles'

Elégie

Posté : 8 février, 2011 @ 9:35 dans - XVIIème/XVIIIème siècles, littérature et culture, Poesie | Pas de commentaires »

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Cascade fantastique, huile de Catherine Scharbach

Seraient-ils ceux-là,
Les lieux enchanteurs,
Par où je passais
Les bonnes années ?

Serait-ce les prés
Où je m’amusais,
Tout en faisant paître
Le gentil troupeau

Qu’Alceu m’a laissé ?

Ce sont-là ces lieux ?
Eh bien oui ; c’est moi
Qui suis différent.
C’est toi, Marília ?
J’arrive, attends.

Un cours d’eau tombait
De ce haut rocher ;
Au bruit murmurant
J’ai dormi souvent !
L’écume neigeuse
Ne recouvre plus
Les rochers brisés :
Comme si la rivière
S’était détournée.

Ce sont là ces lieux ?
Eh bien oui ; c’est moi
Qui suis différent.
C’est toi, Marília ?
J’arrive, attends.

[…]

L’âme qui avait
Toute liberté,
Ressent à présent
Amour et regret.
Les lieux enchanteurs
Qui jadis me plurent,
Las ! n’ont pas changé ;
Mais j’ai d’autres yeux,
Je suis affligé.

Ce sont là ces lieux ?
Eh bien oui ; c’est moi
Qui suis différent.
C’est toi, Marília ?
J’arrive, attends.

Tómas António Gonzaga, Liras, (Bahia) 1744, Portugal – 1810 ?, Mozambique.

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le moulin à sucre

Posté : 9 juin, 2010 @ 7:57 dans - XVIIème/XVIIIème siècles, littérature et culture | Pas de commentaires »

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Moulin à sucre, Jean Baptiste Debret

On ne pourra ni mieux ni plus parfaitement décrire ce que c’est que d’être esclave dans un moulin à sucre au Brésil. Il n’y a travail ni genre de vie au monde plus semblable à la Croix et à la Passion de Christ que le vôtre dans un de ces moulins. [...]
Dans un moulin vous êtes les imitateurs du Christ crucifié : Imitatoribus Christi crucifixi – parce que vous souffrez d’une manière tout à fait semblable à celle dont le Seigneur a souffert sur sa croix et durant toute sa passion. Sa croix était composée de deux poteaux, et la vôtre dans un moulin est composée de trois. Là non plus les cannes ne manquèrent pas, car elles participèrent par deux fois à sa Passion : une fois en servant de sceptre de pacotille, et l’autre pour l’éponge où on lui donna le fiel. La Passion du Christ fut en partie faite de nuit sans dormir, et d’autre part d’un jour sans repos, et c’est ainsi que sont vos nuits et vos jours. Christ nu, et vous nus ; Christ sans nourriture, et vous affamés; Christ en tout maltraité, et vous maltraités en tout. Les chaînes, les fers, les fouets, les plaies, les noms injurieux, c’est de tout cela que se compose votre imitation, qui, si elle s’accompagne de patience, aura également le mérite du martyre. Il ne manquait que la croix pour une ressemblance entière et parfaite du nom de moulin : or Christ lui a donné le même, pas un autre, mais le même vocable. Votre moulin, ou votre croix, s’appelle Torcular
(1), et celle de Christ, de sa bouche même, s’appela aussi torcular : Torcular calcavi solus. – En toutes les inventions et instruments de travail il semble que le Seigneur n’en ait pas trouvé d’autre qui soit plus semblable au sien que le vôtre. L’adéquation et l’énergie de cette comparaison viennent de ce que dans l’instrument de la croix, et dans tout l’atelier de la passion, comme dans tous ceux où l’on exprime le jus des fruits, c’est ainsi que fut exprimé tout le sang de l’humanité sacrée.

Padre António Vieira, Sermão XIV (Extrait)

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1: Pressoir

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Le sel de la terre

Posté : 31 mai, 2010 @ 7:20 dans - XVIIème/XVIIIème siècles, littérature et culture | 2 commentaires »

Le sel de la terre dans - XVIIème/XVIIIème siècles

 

lettre11 dans littérature et cultureous, dit Christ notre Seigneur en parlant aux prêcheurs, vous êtes le sel de la terre. Il dit le sel de la terre, parce qu’il veut qu’ils agissent sur la terre comme le sel. L’effet du sel est d’empêcher la corruption. Mais lorsque la terre est aussi corrompue que la nôtre, malgré tous ceux qui font office de sel, quelle peut-être la cause de la corruption ? Soit que le sel ne sale pas, soit que la terre ne se laisse pas saler. Soit que le sel ne sale pas – et que les prêcheurs ne prêchent pas la vraie doctrine, soit que la terre ne se laisse pas saler – et que ceux qui écoutent, comme la doctrine est vraie, ne veulent pas la recevoir. Soit que les prêcheurs disent une chose et en font une autre, soit que ceux qui écoutent veulent imiter ce qu’ils font et font ce qu’ils disent.
Soit – les prêcheurs se prêchent à eux-mêmes et non à Christ, soit ceux qui écoutent au lieu de servir Christ, servent leurs appétits. N’est-ce pas ? Tant pis.

Saint Antoine prêchait en Italie, à Rimini, contre les hérétiques, qui étaient nombreux. Et comme les erreurs d’entendement sont difficiles à extirper,non seulement le saint n’obtenait aucun résultat, mais encore le peuple en vint à se révolter contre lui, et peu s’en fallut qu’il n’y perdît la vie. Que ferait dans ce cas l’âme généreuse du grand Antoine? Secouerait-il la poussière de ses chaussures, comme Christ l’a conseillé en d’autres lieux ? Mais Antoine, pieds nus, en était incapable, et ses pieds, où la terre n’était pas accrochée, n’avaient pas besoin d’être secoués. Que ferait-il ? Se retirer? Dissimuler ? Se taire ? Donner le temps au temps ? Voici ce que la prudence et la couardise humaines conseilleraient; mais le zèle de la gloire divine, qui brûlait dans sa poitrine, ne se rendit pas à de tels arguments. Il décida donc de changer de chaire et d’auditoire, sans renoncer à la doctrine; il quitte les places, il va aux plages. Il quitte la terre, et va à la mer, et déclare à haute voix: puisque les hommes ne veulent pas m’écouter, que les poissons m’écoutent ! Oh ! Merveilles du Très Haut ! Oh ! Pouvoir de celui qui créa le ciel et la terre ! Les eaux se mettent à bouillonner, les poissons se rassemblent, les gros, les très gros, les petits, et tous, la tête hors de l’eau sur son ordre, tandis qu’Antoine prêchait, ils écoutaient.
[...]Saint Antoine fut le sel de la terre et le sel de la mer.

(à suivre)

Padre António Vieira (Lisbonne 1606 – Salvador de Bahia 1695)

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Extrait du Sermão de Santo António aos Peixes (Sermon de Saint Antoine aux poissons), 1654

Saint Antoine de Padoue s’appelait Fernando de Bulhões et était né à Lisbonne vers 1195.

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Fado tropical

Posté : 13 avril, 2010 @ 8:33 dans - XVIIème/XVIIIème siècles, musique et chansons, vidéos documentaires | Pas de commentaires »

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Images d’archives et du film « Capitaines d’avril »

« Vous savez, dans le fond je suis un sentimental.
Nous autres lusitaniens avons tous attrapé dans le sang une bonne dose de lyrisme (en plus de la syphilis, bien sûr)
Même quand mes mains sont occupées à torturer, écraser, trucider,
Mon cœur ferme les yeux et sincèrement, pleure… »

Chanson de Chico Buarque et Ruy Guerra, chantée ici par Carlos do Carmo.

 

Eclaire-moi

Posté : 10 août, 2009 @ 8:05 dans - époque contemporaine, - XVIIème/XVIIIème siècles, littérature et culture, musique et chansons, Poesie | 2 commentaires »

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Pedro Abrunhosa, Ilumina-me

 

Je t’aime comme on aime un samedi,
Je t’aime comme on étreint le feu,
Je t’aime comme on vainc l’espace,
Comme on ouvre son coeur,
Comme on saute dans le vide,
Un bateau accoste sur le fleuve,
Un homme meurt sous l’effort,
Sept collines sur le dos
Et une ville pour moi.

Je t’aime comme on tue l’exil,
Je t’aime comme on cotise pour sur l’avenir,
Comme on ment en secret,
Comme on danse dans la rue,
Une robe faite de rien,
Les mains rassasiées du corps,
Un baiser fou sur le port
Et une ville pour toi.

Tant qu’il n’y a pas de demain,
Eclaire-moi, éclaire-moi.

Je t’aime comme une étoile en pleine jour,
Je t’aime quand arrive un nuage,
Je t’aime quand ton corps réclamait,
Quand dans mes mains tu brûlais,
Comme le silence à la guerre,
Des baisers de lumière et de terre,
Et dans un passé imparfait,
Un feu énorme dans la poitrine
Et un monde loin de nous.

Tant qu’il n’y a pas de demain,

Eclaire-moi, éclaire-moi.
 

La guerre

Posté : 9 août, 2009 @ 7:49 dans - XVIIème/XVIIIème siècles, littérature et culture | 6 commentaires »

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La Paix chassant la Guerre de Giulio Cesare Procaccini

La guerre est ce monstre qui se nourrit des propriétés, du sang, des vies, et plus elle en mange et en consomme et moins elle est rassasiée. La guerre est cette tempête terrestre qui emporte les champs, les maisons, les bourgs, les châteaux, les villes, et peut absorber en un instant les royaumes et les monarchies entières. La guerre est cette calamité, composée de toutes les calamités, où il n’existe mal dont on ne souffre ni dont on n’a peur, ni bien qui soit à soi et sûr. Le père n’est pas sûr de son fils, le riche n’est pas sûr de sa propriété, le pauvre n’est pas sûr de sa sueur, le noble n’est pas sûr de son honneur, l’ecclésiastique n’est pas sûr de son immunité, le moine n’est pas sûr de sa cellule ; et même Dieu dans les temples et dans les sanctuaires n’est pas en sécurité.

Padre António Vieira (1608-1687), Sermões.

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Sermon aux poissons

Posté : 18 février, 2009 @ 7:10 dans - XVIIème/XVIIIème siècles, littérature et culture | 4 commentaires »

Au Portugal, on a commémoré en février 2008 le 400 ème anniversaire de la naissance du Padre Antonio Vieira, « l’empereur de la langue portugaise », comme l’appelait Fernando Pessoa.

Sermon aux poissons dans - XVIIème/XVIIIème siècles paroleetutopie

Affiche du film de Manoel de Oliveira, Parole et utopie (2000)

En parlant des poissons, Aristote dit qu’ils sont les seuls animaux que l’on ne peut apprivoiser ni domestiquer. Parmi les animaux terrestres, le chien est si domestique, le cheval si soumis, le bœuf si serviable, le singe si amical ou si flatteur, et même les lions et les tigres, avec du talent et des bons traitements, peuvent être dressés. Des animaux de l’air, à part ces oiseaux de basse-cour qu’on élève, le perroquet nous parle, le rossignol chante pour nous, le faucon nous aide et nous distrait ; et même les grands rapaces, rétractant leurs serres, reconnaissent la main qui les nourrit. Les poissons, au contraire, vivent dans les mers et les fleuves, plongent dans leurs trous d’eau, se cachent dans leurs grottes, et il n’en est pas de si grand qui ne se défie de nous, ni de si petit qui ne nous fuie pas. Les auteurs condamnent communément cette condition des poissons, et l’attribuent à leur manque de docilité ou à leur excès d’insoumission ; mais je suis d’un avis très différent. Loin de condamner, je loue beaucoup les poissons et leur méfiance, dont il me semble qui, si elle n’était pas chez eux naturelle, serait une preuve de grande prudence.

ambian11 dans littérature et culture

Poissons ! Plus on se tient loin des hommes, mieux on se porte ; de leur commerce et de leur familiarité, Dieu vous délivre ! Si les animaux de la terre et de l’air veulent être leurs familiers, qu’ils le fassent, bien qu’ils le paient cher. Le rossignol chante pour eux, mais dans sa cage ; le perroquet leur raconte des histoires, mais rivé à sa chaîne ; le faucon va à la chasse avec eux, mais dans ses liens ; le singe leur fait des bouffonneries, mais attaché à sa branche; le chien est content de ronger un os, mais on l’emmène en laisse là où il ne veut pas aller ; le bœuf est fier qu’on dise qu’il est beau ou noble, mais avec le joug sur la nuque, tirant sur la charrue et la voiture ; le cheval s’enorgueillit de mâcher des mors dorés, mais sous le fouet et l’éperon ; et si les tigres ou les lions acceptent la ration de viande qu’ils n’ont pas chassée dans la nature, ils seront prisonniers et enfermés derrière des grilles de fer. Et pendant ce temps vous, poissons, loin des hommes et hors de cette servilité, vous vivrez entre vous, oui, mais comme des poissons dans l’eau. Partout vous avez l’exemple de cette vérité, que je veux vous rappeler, parce qu’il y a des philosophes qui disent que vous n’avez pas de mémoire.

Padre António Vieira (Lisbonne 1606 – Salvador de Bahia 1695)

Extrait du Sermão de Santo António aos Peixes (Sermon de Saint Antoine aux poissons)

(la photo de grotte sous-marine est de Claude Callado)

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le pain

Posté : 15 décembre, 2008 @ 8:25 dans - XVIIème/XVIIIème siècles, littérature et culture | 2 commentaires »

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La plus grande obligation que Dieu a faite à l’homme est celle de se nourrir. Jetez vos regards sur le monde entier, et vous verrez que tous en arrivent à se résoudre à chercher du pain.
Que fait le laboureur, quand il ouvre la terre avec sa charrue, quand il bêche, arrose, taille, sème ? Il cherche du pain.
Que fait le soldat chargé de fer, quand il guette, combat, fait couler le sang ? Il cherche du pain.
Que fait le marin, quand il hisse, amène les voiles, sonde, lutte contre la mer et les vents ? Il cherche du pain.
Le marchand dans les maisons de contrats, quand il écrit des lettres, fait ses comptes, crée des compagnies ?
L’étudiant à l’université, quand il prend des leçons, remue des livres, se brûle les paupières ?
Le requérant dans les tribunaux, quand il prie, allègue, réplique, donne, promet, annule ? Il cherche du pain.
C’est en cherchant du pain que tout se résout, et tout s’applique à le chercher. Les pauvres donnent pour lui leur travail ; les riches donnent pour lui leurs propriétés ; les esprits généreux donnent pour lui leur vie ; les esprits bas donnent pour lui l’honneur ; ceux qui n’ont pas d’esprit donnent pour lui leur âme ; et il n’existe personne qui ne donnât au pain et pour le pain toute son attention.

 

 Padre António Vieira, Sermões

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