Au Portugal, on a commémoré en février 2008 le 400 ème anniversaire de la naissance du Padre Antonio Vieira, « l’empereur de la langue portugaise », comme l’appelait Fernando Pessoa.
Affiche du film de Manoel de Oliveira, Parole et utopie (2000)
En parlant des poissons, Aristote dit qu’ils sont les seuls animaux que l’on ne peut apprivoiser ni domestiquer. Parmi les animaux terrestres, le chien est si domestique, le cheval si soumis, le bœuf si serviable, le singe si amical ou si flatteur, et même les lions et les tigres, avec du talent et des bons traitements, peuvent être dressés. Des animaux de l’air, à part ces oiseaux de basse-cour qu’on élève, le perroquet nous parle, le rossignol chante pour nous, le faucon nous aide et nous distrait ; et même les grands rapaces, rétractant leurs serres, reconnaissent la main qui les nourrit. Les poissons, au contraire, vivent dans les mers et les fleuves, plongent dans leurs trous d’eau, se cachent dans leurs grottes, et il n’en est pas de si grand qui ne se défie de nous, ni de si petit qui ne nous fuie pas. Les auteurs condamnent communément cette condition des poissons, et l’attribuent à leur manque de docilité ou à leur excès d’insoumission ; mais je suis d’un avis très différent. Loin de condamner, je loue beaucoup les poissons et leur méfiance, dont il me semble qui, si elle n’était pas chez eux naturelle, serait une preuve de grande prudence.
Poissons ! Plus on se tient loin des hommes, mieux on se porte ; de leur commerce et de leur familiarité, Dieu vous délivre ! Si les animaux de la terre et de l’air veulent être leurs familiers, qu’ils le fassent, bien qu’ils le paient cher. Le rossignol chante pour eux, mais dans sa cage ; le perroquet leur raconte des histoires, mais rivé à sa chaîne ; le faucon va à la chasse avec eux, mais dans ses liens ; le singe leur fait des bouffonneries, mais attaché à sa branche; le chien est content de ronger un os, mais on l’emmène en laisse là où il ne veut pas aller ; le bœuf est fier qu’on dise qu’il est beau ou noble, mais avec le joug sur la nuque, tirant sur la charrue et la voiture ; le cheval s’enorgueillit de mâcher des mors dorés, mais sous le fouet et l’éperon ; et si les tigres ou les lions acceptent la ration de viande qu’ils n’ont pas chassée dans la nature, ils seront prisonniers et enfermés derrière des grilles de fer. Et pendant ce temps vous, poissons, loin des hommes et hors de cette servilité, vous vivrez entre vous, oui, mais comme des poissons dans l’eau. Partout vous avez l’exemple de cette vérité, que je veux vous rappeler, parce qu’il y a des philosophes qui disent que vous n’avez pas de mémoire.
Padre António Vieira (Lisbonne 1606 – Salvador de Bahia 1695)
Extrait du Sermão de Santo António aos Peixes (Sermon de Saint Antoine aux poissons)
(la photo de grotte sous-marine est de Claude Callado)
Revenir à la page d’accueil