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Archive pour la catégorie '- XVIIème/XVIIIème siècles'

prêcher aux poissons

Posté : 8 juin, 2008 @ 5:43 dans - XVIIème/XVIIIème siècles, littérature et culture | 2 commentaires »

prêcher aux poissons

Saint Antoine de Lisbonne (Azulejos)

prêcher aux poissons dans - XVIIème/XVIIIème siècles lettre10e voudrais aujourd’hui, comme Saint Antoine, me tourner de la terre vers la mer, et comme les hommes ne profitent pas de mon prêche, prêcher aux poissons. La mer est si proche qu’ils m’entendront bien. Maria signifie : maîtresse de la mer (Domina Maris). Et, bien que le sujet soit si désuet, j’espère que la grâce habituelle soit avec moi. Ave Maria. Enfin, qu’avons-nous à prêcher aujourd’hui aux poissons ! Pas de pire auditoire. Au moins les poissons ont deux qualités d’auditeurs: ils entendent et ne parlent pas. Il n’est qu’une chose qui pourrait chagriner le prêcheur, c’est que les poissons soient incapables d’être convertis. Mais cette douleur est si banale que déjà, par habitude, on ne la sent presque plus. C’est pourquoi je ne parlerai ni du ciel ni de l’enfer aujourd’hui: ainsi, ce sermon sera moins triste que ceux que je fais aux hommes pour leur montrer le chemin de leurs deux fins.
Vous êtes le sel de la terre. Il vous faut savoir, frères poissons, que le sel, comme vous fils de la mer, possède deux propriétés dont vous pouvez ressentir les effets en vous-mêmes: conserver ce qui est sain, et le préserver, afin qu’il ne se corrompe pas. [...] L’une est louer le bien, l’autre réprimander le mal. Il ne suffit pas de le remarquer, et de réprimander les poissons, encore faut-il les imiter et de les louer. Quand le Christ compara son église au filet du pêcheur, il ordonna que les pêcheurs recueillent les bons poissons et rejettent les mauvais. Et là où on trouve des bons et des mauvais, il faut louer et réprimander. Je diviserai donc mon sermon en deux points: D’abord je louerai vos vertus, puis je vous reprocherai vos vices.
[...]

Padre António Vieira (Lisbonne 1606 – Salvador de Bahia 1695) Extrait du Sermão de Santo António aos Peixes (Sermon de Saint Antoine aux poissons)

(à suivre)

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Diablerie

Posté : 27 août, 2007 @ 11:00 dans - XVIIème/XVIIIème siècles, littérature et culture | 1 commentaire »

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Marius Borgeaud (1861-1924), Intérieur d’auberge

Angèle monta avec le souper dans la chambre du Soldat, le visage bien fardé, avec un petit voile et une camisole si propres qu’un boeuf les aurait bus dans l’eau. Si gracieuse, elle semblait dire : »Croquez-moi, croquez-moi » à qui fût moins continent que le Soldat, auquel elle s’adressa ainsi:
- Voici votre souper et moi-même pour vous servir, selon votre bon vouloir.
Et comme elle s’enquérait de son compagnon, le Soldat lui répondit qu’il était sorti et qu’elle pouvait se retirer et laisser là le souper. Un autre soir elle souperait avec lui et il lui paierait de retour les bonnes dispositions qu’elle lui témoignait, mais cette nuit ce n’était guère possible, car il se sentait souffrant.
Angèle, la rage au coeur que tout l’effort de sa parure n’eût servi de rien, se retira, non sans exprimer au Soldat l’intime douleur de son ressentiment. [...]
Le Soldat avait déjà fait un petit somme et il devait être près de onze heures du soir lorsque, une fois tous les hôtes couchés, Angèle s’étendit sur sa couche en proie à un vif ressentiment pour le mépris du Soldat, qu’elle regardait comme une grande offense à ses appâts, ce qui la tourmentait plus que la perte de cette belle occasion.
Commme Angèle était au lit, agitée par cette considération qui lui ôtait le sommeil, elle entendit une voix qui lui disait tout bas:
- Dors-tu, Angèle ?
[...]
Et la voix reprit :
- Tu me reconnais, Angèle ?

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Promenade en enfer

Posté : 16 juillet, 2007 @ 3:55 dans - XVIIème/XVIIIème siècles, littérature et culture | Pas de commentaires »

 

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Le Soldat était encore subjugué par ladite représentation lorsque dans une infernale rue il vit passer un grand nombre de carrosses et de litières. Etonné, il dit au Petit Diable:
- Est-ce possible qu’en enfer aussi on roule en carrosse et en litière ?
Et le Petit Diable lui répondit qu’il y avait là un nombre infini de carosses et de litières, parce qu’y étaient punis ceux que carrosses et litières avaient conduits en enfer. A quoi le Soldat répliqua :
- Comment carrosses et litières peuvent être la cause de leur condamnation si celle-ci dépend de leurs mauvaises actions?
- Eh bien, les uns comme les autres, repartit le Petit Diable, en furent l’origine, car se voyant en carrosse et litière, chacun de ceux qui orgueilleusement en usaient méprisait les humbles et s’imaginait être au plus haut point des cieux, croyant qu’en litière et carrosse il prenait le chemin du paradis, tout enorgueilli de cette ostentation. Et pour qu’à cette fin rien ne lui manquât, il ne donnait point l’aumône aux pauvres et ne payait pas son dû, et donc je dis bien que les carrosses et les litières en enfer les ont conduits.
A cela le Soldat rétorqua:
- Ce ne sont là que calomnies, car je connais maints seigneurs et gentilshommes qui vont en carrosse et litière et sont fort charitables, courtois et doués de raison.
- Je ne nie pas, reprit le Petit Diable, qu’il y ait des bons et des méchants, et ceux qui méritent le nom de bons sont coeux dont les oeuvres sont en accord avec l’ancienne noblesse de sang. Néanmoins, ceux qui entrent en noviciat de noblesse et croeint qu’en enflure et vanité réside leur conservation se perdent tous, sans que mes tentations ne leur soient nécessaires.
A cela le Soldat s’apprêtait à répondre quand il vit que de nombreux diables, qui suivaient les carrosses et litières, surgissaient en criant:
- Halte-là, cochers, halte-là !
[...]
- Vos Grâces, messieurs les galants, croient-elles être venues en enfer pour s’y promener ? Eh bien vous vous trompez lourdement. Descendez sans tarder, car nous voulons vous administrer les tourments que vous méritez.

António José da Silva, O Judeu, brûlé par l’Inquisition en 1739, Oeuvres du petit diable à la main percée, (Obras do fradinho da mão furada), éd. Jérôme Millon, Grenoble, 1988. Traduit par Bernard Emery.

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de l’aveuglement des passions

Posté : 4 mai, 2007 @ 10:20 dans - XVIIème/XVIIIème siècles, littérature et culture | 6 commentaires »

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Le Padre António Vieira

Les passions du cœur humain, telles que les divise et les énumère Aristote, sont au nombre de onze; mais toutes se réduisent à deux principales, l’amour et la haine. Et ces deux affects aveugles sont les deux pôles autour desquels tourne le monde, c’est pourquoi il est si mal gouverné.
Ce sont eux qui pèsent les mérites; eux qui qualifie les actions; eux qui évaluent les récompenses; eux qui répartissent les fortunes.
Ce sont eux qui arrangent ou décomposent ; eux qui font ou anéantissent ; eux qui peignent ou effacent les objets, donnant et ôtant, à leur gré, couleur, forme, mesure, et même être et substance, sans autre distinction ou jugement que haïr ou aimer.
Si les yeux voient avec l’amour, le corbeau est blanc ; avec la haine, le cygne est noir. Avec l’amour, le démon est beau ; avec la haine, l’ange est laid. Avec l’amour, le Pygmée est géant; avec la haine, le géant est Pygmée. Avec l’amour, ce qui n’est pas existe; avec la haine, ce qui existe, et existe avec raison, n’est ni ne sera jamais.
C’est pourquoi l’on voit, avec la perpétuelle clameur de la justice, les indignes debout, et les dignités abattues; les talents désœuvrés, et les incapacités aux postes de commandement; l’ignorance diplômée, et la science sans honneur ; la faiblesse comme bastion, et la valeur à l’écart dans un coin ; le vice sur les autels, et la vertu sans culte; les miracles accusés, et les miraculés coupables.
Peut-il y avoir plus grande violence faite à la raison ? Peut-il y avoir plus grand scandale dans la nature ? Peut-il y avoir plus grande perdition de la république ?
Car tout cela est ce qui fait et défait la passion des yeux humains : aveugles lorsqu’ils se ferment, et aveugles lorsqu’ils s’ouvrent ; aveugles lorsqu’ils aiment, et aveugles lorsqu’ils haïssent; aveugles lorsqu’ils approuvent, et aveugles lorsqu’ils condamnent; aveugles lorsqu’ils ne voient pas, et, lorsqu’ils voient, bien plus aveugles.

Padre António Vieira, (Lisbonne 1608-Baia 1697), Sermões

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Châtiment

Posté : 30 novembre, 2006 @ 6:10 dans - XVIIème/XVIIIème siècles, littérature et culture | 3 commentaires »

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Antonio José da Silva, O Judeu

(1707-1736)

C’est alors qu’une des sorcières se leva et dit au Petit Diable :
- Je viens, moi, luciférien commissaire, de sucer le sang d’un enfant qui était baptisé depuis deux jours à peine et sans vie je l’ai laissé…
Ce à quoi le petit Diable, poussant un cri formidable et terrifiant, répondit en ces termes :
- O monstre indigne de ma faveur et du titre de sorcière, tu mériterais, pour avoir fait telle chose, que sans tarder je t’ensevelisse corps et âme au tréfonds de l’enfer et que tu n’y voies plus jamais la lumière du jour ! Ne valait-il pas mieux qu’avant qu’on eût baptisé cet enfant, tu lui ôtasses la vie, et qu’ainsi, bien qu’il fût sans péché, il ne pût jouir de la gloire éternelle que notre orgueil a perdue, et dont le regret nous torture et nous fait rechercher la perdition de toutes les créatures, pour qu’elles n’occupent les places que nous avons laissées ? Tu tues les innocents en grâce, ô Hérode en jupons, pour qu’ils aillent goûter à l’éternel bonheur ! N’était-il pas préférable que cet innocent vécût jusques à l’âge de pécher et que nous eussions part sur lui, au lieu de l’écarter de ce péril en lui ôtant la vie ?

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Pour Inès, encore

Posté : 8 novembre, 2006 @ 3:54 dans - XVIIème/XVIIIème siècles, littérature et culture, Poesie | Pas de commentaires »

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Que l’air se brouille,
Et fanent les fleurs ;
Mourez, Amours,
Inès est morte.

Pauvre époux,
Lamente-toi,
Ton enchantement
N’est déjà plus tien.

La lame en secret,
A gâché son sein,
Injure barbare,
Qu’on lui a faite.

De douleur, d’effroi
Dans son char doré
Le bel astre blond
A défailli.

[...]

Des oiseaux sinistres
Ont piaillé ici,
Des loups ont hurlé,
Le sol a tremblé.

Que l’air se brouille,
Et fanent les fleurs;
Mourez, Amours,
Inès est morte.

Manuel Maria Barbosa de Bocage, A morte de Inês de Castro (1765-1805)

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