Archive pour la catégorie '- époque contemporaine'
le diable dans la main
On m’a traité un jour
de gitan, de maltais,
Gamin, tu n’es pas bon
J’ai creusé une tombe
Dans la terre profonde
J’ai fait d’elle
Ma sépulture.
Je suis entré dans une grotte
J’ai tué un triton
Mais j’avais
Le diable dans la main
Il y avait un train
Prêt à partir
Et j’ai vu
Le diable qui tentait
De lui demander l’aumône
Je suis resté tout près
Dans un lit
de peine j’ai dormi
On m’a mis aux fers
On a lâché les chiens
Mais j’avais
le diable dans la main
Retour au pays
La gare de Vilar Formosa (www.wrighton.com)
Le voyageur dans le train se souvenait du temps où il était parti, et ce départ avait certes été provoqué par la nécessité mais aussi par la volonté, sans qu’il sache bien distinguer la limite entre les deux. A présent il rentrait, et en observant les maisons qui passaient il sentit la chaleur proche des retrouvailles si longtemps ajournées. Ces maisons qui passaient à l’extérieur de la fenêtre, qui couraient, rapides, en sens inverse, n’étaient pas les siennes, c’est vrai ; mais pas très loin, juste une gare plus loin, il commencerait à voir arriver vers lui d’autres maisons. Et il les reconnaîtrait comme étant celles de sa terre, et il dirait alors quelque chose comme : « Ces maisons sont celles dont je me souviens, ce sont celles que j’ai quittées et où je reviens à présent. »
Désarroi
Ni la vue sur le fleuve, ni le temps agréable, ni le silence, ne me tiraient de cette solitude animale – je cherchais les vestiges de mon espèce et tout ce que je trouvais m’était étranger ; c’était la preuve évidente que l’espèce en question était pure invention, confusion d’images et d’idées, angoisse canonisée.
Mais cinq ou six degrés plus à gauche mon regard se heurta à une plaque qui avait résisté à la plus prestigieuse des maladies – le temps. Ligue des amis des hôpitaux. Je fis un signe de croix et tirai la sonnette du rez-de-chaussée (c’était plus logique, parce que, normalement, les rez sont plus résistants).
- C’est ici que demeure la santé ?
- Ici demeure et meurt une idée. Elle meurt tous les jours !
- C’est pour cela qu’elle résiste au temps – je voulus renforcer la dialectique des choses temporelles. Et ses amis ?
- La mort n’a pas d’amis !
A la vitesse à laquelle cela ouvrit, parla et tenta de fermer la porte, je n’arrivai pas à voir s’il s’agissait d’une femme, d’un homme, d’un enfant, d’un animal, ou de la mort en personne. Je parvins à lui glisser un prospectus plié que deux Témoins de Jéhovah m’avaient offert de façon inopportune – finalement, c’était quelqu’un, parce qu’il se mit à lire avec un intérêt quelque peu inattendu une annonce banale, une charlatanerie sur l’avenir de la santé, en d’autres termes de la vie, comme si la vie n’avait qu’un avenir, sans fondements dans le passé ou dans le présent. Je frappai légèrement à la porte, pour ne pas lui gâcher le plaisir de sa lecture.
- Je voulais seulement vous dire ceci : lorsque nous atteignons la forme parfaite où nous ne comprenons plus le monde ni notre existence, la solitude nous deviens étrange, étrangère. Si nous pouvions comprendre le monde, la vie deviendrait impossible. Pour ne pas parler de la santé !
- Portez-vous bien ! répondit-il sans lever les yeux.
- Je vais bien ; vous, portez-vous bien.
Il n’y avait pas de doute, le Sale Goret jouissait à fond de l’idée, non, de l’espérance du Salut.
Dimiter Anguelov, Partida incessante, Nova Atica, 2001
humour
l’employé regarde de l’autre côté de la vitre, l’open space n’a pas de fenêtres qui s’ouvrent à cause du chauffage central ou de l’air conditionné, une raison quelconque, au début l’employé n’aimait pas les vitres qui tenaient lieu de fenêtres mais il s’était habitué,
ils avaient peur qu’on se jette en bas
l’employé a un genre d’humour que ses collègues n’ont jamais apprécié ce qui
si on avait un brin de lucidité c’est bien ce qu’on ferait
le rend encore plus solitaire, l’employé regarde la pluie qui ne cesse pas, il y a longtemps qu’il considère que ses pensées sont la seule chose qu’il possède vraiment, comment je vais faire pour arriver à l’heure à la crèche, déjà un jour normal je n’y arrive pas, où est-ce que je vais me garer pour acheter le poulet, j’aurais du dire à ma femme qu’aujourd’hui ça n’était pas un bon jour pour aller acheter un poulet, il aurait dû le dire s’il n’évitait pas de parler, il a appris à s’économiser de la voix de sa femme,
la moitié avec du piment et la moitié avec de la sauce au beurre pour les enfants, deux paquets de chips, s’il y a encore du pain, de celui qui est cuit au feu de bois, prends-en deux j’en congèlerai un, si on avait acheté un congélateur plus grand comme je voulais tu pourrais en apporter trois ou quatre, comme ça
la voix de sa femme est tellement énervante, avant leur mariage elle ne pouvait pas avoir cette voix, ça n’est pas possible de se tromper autant, en plus de sa voix énervante sa femme a l’habitude énervante de parler sans arrêt,
Dulce Maria Cardoso, Les anges, Violeta, Esprit des péninsules, 2006