Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour la catégorie '- époque contemporaine'

mission

Posté : 3 mars, 2011 @ 9:10 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

lepreux.jpg

– João Lourenço, le service que j’ai envoyé Fernand Alvares vous demander (mais je vois qu’il m’a laissé cette tâche) était que vous veniez avec moi à Ulgueira pour aller chercher un lépreux. C’est le devoir de l’Hospice, à qui appartient la léproserie, d’aller le voir et de l’interner, afin qu’il ne puisse nuire aux autres. C’est pour cela que le prévôt doit le voir, ainsi que le scribe, pour lui explique le règlement et le conduire à la léproserie.
- Je sais. C’est cela, alors, que vous attendez de moi.
- Est-ce que cela vous dérange ? J’avais pressenti qu’il ne vous expliquerait pas, et que par conséquent…
J’ai essuyé la poussière sur ma manche.
- Si cela me dérange ? Disons que oui. Mais cela ne me trouble pas. Il est sûr que je préfèrerais ne pas le faire, pas plus que je ne désirerais attraper la lèpre.
- Que ceci ne vous inquiète pas. J’ai déjà vu beaucoup de lépreux, je suis allé maintes fois à la léproserie, et le mal ne m’a jamais atteint, pas plus que le scribe, ni les gens qui s’occupent d’eux à Saint Pierre. Je me demande parfois la raison de tant de dégoût et de tant de peur, puisque même le bisaïeul de Monseigneur le Roi qui gouverne en ce moment le royaume était aussi lépreux, à ce qu’il paraît, d’après ce que racontent les anciens. Cela ne l’a pas empêché d’avoir plusieurs enfants, dont deux ont été rois. Non, décidément, ne vous inquiétez pas. Quant à l’après-midi que nous perdons, elle vous sera payée, comme nous le devons chaque fois que nous faisons perdre du temps à un tabellion

(more…)

réalisme

Posté : 28 février, 2011 @ 8:22 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 2 commentaires »

Revenir à la page d’accueil

batman.jpg

Il tremblait entièrement – je ne sais si c’était de peur ou de surprise. Je lui tendis un livre et je cherchai à le calmer :
- Appuie-toi sur cette prose, elle est plus solide.
Mais il n’entendit pas et poursuivit :
- Ce chien était un rêve en chair et en os, non, un chien basé sur des faits réels.
- Il bougeait ? Il était vivant ?
- Pour bouger, il bougeait. Il a même essayé de me mordre. Mais ça ne voulait pas dire qu’il était vivant. « Basé sur des faits réels », c’est comme ça qu’ils me l’ont présenté.
- Alors c’est évident qu’un chien quelconque, pardon, quelqu’un a tiré ce chien d’une fiction, d’un roman ou d’une simple nouvelle.
- Non, ça non. Il s’en est fallu d’un cheveu qu’il ne me morde.
- C’est ça – ces chiens, ces prosateurs, dis-je, créent des chiens plus féroces que les professionnels et ils nous les lâchent dessus sans prévenir et sans le moindre sens des responsabilités. Et il flairait, il examinait l’atmosphère ?
- Non, ces chiens-là suivent une autre méthode, ils sont tout ouie, ils suivent la voix de leur maître, de leur créateur.
- De Notre Seigneur ?
- Non, de leur seigneur à eux. C’était une voix de chien. Comme ça : … Je n’arrive pas à la reproduire. Qui est-ce qui peut reproduire un truc basé sur des faits réels ?
Ses poils se sont dressés, il a poussé un hurlement, il a avancé et il a essayé de me mordre, et il n’est pas arrivé à reproduire – ce n’était pas un chien en chair et en os mais seulement un chien en âme.
Je lui ai donné un coup de pied que je ne parviens pas à reproduire ici.

Dimíter Ánguelov, Partida incessante, Nova Ática, 2001

Revenir à la page d’accueil

analyse web stats

Excès d’imagination

Posté : 26 février, 2011 @ 8:00 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 6 commentaires »

Excès d'imagination dans - époque contemporaine dimite10 

 Parque das Merendas, Photographie Dimíter Ánguelov

- Je vois un visage, une bague, une rayure sur le capot  de la voiture et je transforme ça aussitôt en histoire. Jusqu’à un simple point final. Un excès d’imagination qui ne me laisse pas de repos.
- C’est de la folie, dis-je. L’imagination ne fait jamais d’excès. Même pas chez les fous.
- Et la folie ? Ce n’est pas un excès ?
- Les fous n’inventent pas d’histoires. Ou, s’ils en inventent, ils ne le savent pas. Pour eux tout est réel.
- Pour moi tout est fiction. Même la poésie. La musique aussi. Même cette conversation que nous avons me paraît être une histoire. Regardez cet arbre. Ce n’est pas un pommier, et il n’est pas en fleur. N’imaginez pas que vous voyez ce dont je suis en train de parler. Mais moi, quand j’observe une seule fleur de pommier, ça me rappelle toutes les fleurs de tous les pommiers possibles. Et je vais plus loin. Je me souviens de tous les gens qui ont vu des fleurs de pommier. Je sais pourtant qu’aucun de ces pommiers n’est réel. Il n’y a que les fleurs. Ou, si vous voulez, les sentiments…
- Oubliez votre enfance… on ne peut pas retrouver l’enfance. Ni les pommiers. Ni les noyers. Pensez à la vieillesse !
- Si j’oublie mon enfance, j’oublie tout. Tout est lié.
- Otez-vous cette idée de la tête. Vous n’avez qu’une seule possibilité : atteindre la vieillesse. Jamais l’enfance. C’est pour ça que les gens disent : « il est mort de vieillesse » et jamais « il est mort de jeunesse ». Retrouvez cette possibilité. Je répète : faites une croix sur votre enfance. Une grande. Vous avez besoin de temps pour vieillir ! N’oubliez pas.
- Où vais-je trouver une telle croix ? demanda-t-il, s’adressant à quelqu’un d’invisible mais d’omniprésent.
Je l’ai laissé appuyé au dossier d’un banc la tête levée, en train de regarder les arbres. Des arbres aux frondaisons immenses qui dissimulaient d’innombrables croix, mais aucune de la taille de celle qu’il recherchait.

Dimíter Ánguelov, Furacão no labirinto, Europa-América, 1996

Genèse

Posté : 21 février, 2011 @ 8:00 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

 

Genèse dans - époque contemporaine n02-mulher-serpente

« Eve, le serpent et la mort« de Hans B. Grien (1510-15)

Avec le temps, un temps vague et indéterminé, Adam et Notre Seigneur devinrent amis. Et comme ni l’un ni l’autre n’avaient eu d’enfance, ils inventaient tous les jours un jeu différent, une distraction – toujours agréable, puisque le mauvais goût n’existait pas encore.
- Aujourd’hui j’ai envie de créer des animaux, dit-Il en tapant sur l’épaule d’Adam.
- Des animaux? Je ne comprends pas…
- Des choses animées par l’âme, des choses qui bougent…
- Je sais !… le feu fait bouger.
- Pas du tout, le feu ne fait bouger que ce qui est près de lui.
- D’accord, conclut Adam. Et comment on fait?
- Pas «on». C’est moi qui fais.
- Mais comment tu fais si tu n’en as jamais vu?
- Comme ça: on dit les consonnes et les voyelles au hasard, et on voit ce que ça donne.
Et ils se mirent à prononcer et à créer et ils s’amusaient comme des fous. Ensuite, le Seigneur se contentait de dire : « Va-t-en » et Adam poussait l’animal en disant : « Adieu ! »
- «Chat», dit Adam.
- Cette merveille reste avec moi. Ne touche jamais cet animal même pour le caresser. «Chien!»
- Celui-là, je le veux ! Regarde-moi ces yeux. Si je me penchais sur l’eau avec lui, on dirait que nous ne sommes qu’une seule et même chose.
- Garde-le, si tu veux, mais loin d’ici… je me repens même de l’avoir créé. Mais bon.
- «Chauve-souris», dit Adam.
- Va au diable! s’exclama le Seigneur, tout tremblant.
- Qu’est-ce que tu dis? C’est quoi le «diable»?
- Je ne sais pas trop. C’est quelque chose que je ressens quelquefois à l’intérieur de moi.
- Cela ne doit pas être un animal. «Athée!»
- C’est pire que toi et le diable réunis. Sois maudit ! Tout est fini entre nous.
Et Il l’abandonna au milieu de la multitude des animaux, qui jusque là vivaient en parfaite harmonie. Mais, lorsque le Seigneur s’éloigna, ils se mirent à rugir, à grogner, à montrer les dents, à hurler. Pour la première fois Adam éprouva une sensation d’étrangeté et cria :
- J’ai peur!
Et ce qui l’effraya le plus, c’est qu’il ne savait pas exactement ce que ces mots voulaient dire. Alors, le chien s’approcha et lui lécha la main. Adam sentit sa chaleur et se détendit un peu, l’entoura de ses bras et se mit à pleurer. Il vit quelques gouttes tomber sur le sol et regarda le ciel. Peut-être parce qu’il étaient émus, les autres animaux s’éloignèrent et laissèrent en paix ces deux âmes jumelles. Une paix solitaire, mi-canine, mi-humaine. Jusqu’au jour où se planta devant Adam l’animal le plus étrange et le plus fascinant, qui dit avec un naturel troublant :
- C’est moi, Eve.

Dimiter Anguelov, Furacão no labirinto, Europa-América, 1996

Revenir à la page d’accueil

 

Tradition

Posté : 19 février, 2011 @ 10:11 dans - époque contemporaine, littérature et culture, musique et chansons | Pas de commentaires »

Image de prévisualisation YouTube

Gabriela Mendes (Cap vert)

mémoire morte

Posté : 18 février, 2011 @ 9:13 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 4 commentaires »

 

 

 

mémoire morte dans - époque contemporaine lavage10

 

 

*

Un jour je ne me suis pas présenté à la mairie pour faire mettre à jour mon disque dur. Ils m’ont supprimé mon code secret. Et à partir de là, j’ai été perdu.
- C’est dans le monde d’avant que vous êtes perdu. On n’utilise plus le disque dur depuis pas mal d’années. Je ne sais même pas comment je m’en suis souvenu. Ce souvenir pourrait d’ailleurs me causer des ennuis.
- Et alors, qu’est-ce qu’on utilise maintenant ?
- Un appareil très sophistiqué. Vous n’avez même plus besoin d’aller à la mairie. Vous (vous, non, parce que vous avez dépassé les délais), vous, disais-je, n’échappez pas à la mise à jour, même en vous cachant dans le coin le plus sombre.
- Et comment s’appelle ce tyran artificiel ?
- Il n’est déjà presque plus artificiel, bien qu’il ne s’adapte à aucun nom. C’est quelque chose qui vous use un nom en un rien de temps, absolument délirant, un truc d’une rapidité qui précède le phénomène. La quintessence de la double cellule « information-désactualisation ».
- Mais il doit y avoir des spécialistes en la matière.

(more…)

l’honnête homme

Posté : 15 février, 2011 @ 9:30 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 2 commentaires »

dimitersinaisexterioresdefortuna.jpg

Signe extérieur de richesse (photographie de l’auteur)

- Mais finalement, qu’est-ce qu’un honnête homme ?

- Eh bien. Un honnête homme n’accélère jamais le pas, sauf quand il est en danger de mort. Il ne fait jamais de mouvements brusques, à moins qu’il ne soit piqué par un insecte rare ou mordu par un animal de moyenne ou de grande taille. Et même dans ce cas, il n’oublie pas d’imprimer à ses mouvements, dans son étonnement ou dans son déplaisir, une certaine grâce. Y compris avec les humains : un honnête homme ne perd jamais patience, ne fait jamais preuve de grande aversion ou de révolte, à moins qu’il ne se voie forcé de se joindre à une attitude collective ou, ce qui est la même chose, lorsque cela l’arrange, pour des raisons de force majeure, bien entendu. Un honnête homme ne dit jamais de mal de personne, bien qu’il puisse agir comme il l’entend, et recourir aux moyens… exceptionnels. Parce que l’honnête homme est une exception par excellence.
- Vous voulez dire que c’est une rareté, de nos jours ?
- Il a de tout temps été une rareté. Toujours difficile à identifier. Pour une question de discrétion, de modestie, et toutes les autres vertus qu’on lui attribue habituellement.- Dans ce cas c’est un animal solitaire.
- Solitaire, il peut l’être ou le devenir. Mais un animal, non. C’est exclu dès le départ.

Dimíter Ánguelov, Trinta contos até o fim da vida, 1998

Revenir à la page d’accueil

L’enfant

Posté : 15 février, 2011 @ 8:37 dans - époque contemporaine, littérature et culture, Poesie | 2 commentaires »

Image de prévisualisation YouTube

Maria Bethânia, O poema do menino Jesus (Alberto Caeiro alias Fernando Pessoa)

 

 A moi, il m’a tout appris.
Il m’a appris à observer les choses.
Il me montre tout ce qu’il y a dans les fleurs.
Il me montre comme les pierres sont jolies
Quand on les tient dans la main
Et qu’on les regarde bien.

1...34567...67