histoire vraie, suite
Ondjiva
Ce fut donc avec un soulagement sincère et profond que la ville accueillit la nouvelle selon laquelle Juliana Nangove avait un homme chez elle, car, bien qu’on la considère comme une femme très bizarre, c’était au minimum une affaire de justice, sinon divine, du moins naturelle : tout être humain a le droit d’avoir quelqu’un dans sa vie qui s’occupe de lui et dont il s’occupe. Mais très vite le soulagement fut remplacé par une curiosité morbide. [...]
Ces deux sentiments se changèrent en indignation littéralement populaire et civique, lorsque Pedro Canivete João fut connu des membres de la communauté locale, comme on dit de nos jours. Certains voulurent même faire justice de leurs propres mains, car il s’agissait d’un véritable crime, d’un culot inadmissible. Qui était ce gamin ? D’où venait-il ? Que voulait-il de la vieille Juliana Nangove, une pauvre femme, sans mari, sans parents, sans travail, sans rien ?
Comme les lecteurs s’en souviennent, je n’avais pas une énorme envie, au début, de raconter quoi que ce soit sur Pedro Canivete João, un gamin imberbe sans l’ombre d’un curriculum, ce qui, d’ailleurs, n’a aucune espèce d’importance lorsque est en jeu, l’amour, ce sentiment absolu, qui a une valeur en soi et qui, par conséquent, devrait dispenser de toute espèce de questionnement sur le genre, l’âge, ou même la durée de validité. Cependant, devant la légitime curiosité de ceux qui aiment à accorder une importance exagérée à des détails précis, je me vois obligé de le faire, ce qui pourra être interprété, si vous voulez, comme une preuve de la soi-disant autonomie du récit.
Par malchance, Pedro Canivete João était un de ces êtres nés en Angola après l’indépendance et qui, happés par le tourbillon des événements qui ont désolé le pays dans les premières décennies de son histoire, étaient devenus un type d’individus totalement dépourvus de références, géographiques, familiales, culturelles ou autres. La guerre, surtout, les avait jetés (littéralement) aux quatre coins de l’Angola, errants à la grâce de Dieu, exactement comme les personnages de Mia Couto, dans Terra Sonâmbula.
João Melo, « O amor é eterno enquanto dura », in The serial killer, Caminho, 2004
Bonga, « Mariquinha »