mauvais présage
Fond de rivière
Les ombres, te disais-je, que nous serons ? Des ombres, finalement, nous en sommes déjà tous ; des ombres d’hommes, des ombres d’hommes qui occupent leurs jours à cacher de leurs pauvres mains nues les épaisses ténèbres qui recouvrent à présent le monde. Avance, Flavien, avance. Emmène avec toi la mule qui calmera la faim de quelques-uns pour peu de temps. Marche, ou plutôt cours, car si aujourd’hui tu es celui qui donne, sûrement demain tu seras celui à qui l’on donne.
« Qu’as-tu vu, dis-moi ce que tu as vu. »
J’assiège de mes questions les paysans qui mangent sur le territoire de Redondelo, mes mains serrés sur leurs épaules et mes yeux posés sur eux avec insistance, comme si par leurs yeux à eux les miens pouvaient voir plus loin que l’espace exigu qui entoure mon domaine.
« Qu’as-tu vu, dis-moi ce que tu as vu. »
Tout savoir, savoir tout ; boire jusqu’à la lie la dernière goutte amère de ce qui arrive en ce monde.
« Qu’as-tu vu, dis-moi ce que tu as vu. »
Mais leurs yeux sont si épouvantés par mes questions que de leurs bouches ouvertes sur le pain et le vin rien ne sort que de pauvres et vaines paroles qu’ils prononcent à peine.
« Plus loin, évêque Hydace, au-delà du pont de Trajan il y a des signes… »
« Qu’y a-t-il plus loin ? Qu’as-tu vu au-delà du pont de Trajan qui puisse perturber la paix de tes travaux ? »