Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Archive pour la catégorie '- moyen âge/ XVIème siècle'

A railleur, railleur et demi

Posté : 6 juillet, 2007 @ 7:10 dans - moyen âge/ XVIème siècle, littérature et culture, Poesie | 6 commentaires »

Revenir à la page d’accueil

femmefire.gif

femmefire.giffemmefire.giffemmefire.gif femmefire.gif

*

(A Dona Guiomar Afonso Gata)

Quand je serai mort pour elle,
Je sais ce que dira ma belle :
« Je suis Guiomar Afonso ! »

Quand elle me donnera la mort,
Sais ce qu’elle dira de ce sort :
« Je suis Guiomar Afonso ! »

Quand je mourrai, elle portera
Sa main au menton et dira :
« Je suis Guiomar Afonso ! »

*

Joán García m’a demandé
de quelle mort je mourais
et tout à l’heure je lui ai dit ;
«Voici la mort qui me tue;
Guiomar Afonso Gata
est la dame qui me tue.».

Après qu’il m’eut demandé
qui me faisait tant souffrir,
moi-même je lui ai dit :
«Voici la mort qui me tue
Guiomar Afonso Gata
est la dame qui me tue.»
.

Rui Quemado (Minho)

 

troubadours.gif


Rui Queimado est mort d’amour
dans ses chants, à ce qu’il disait,
pour une dame, parce qu’il voulait
montrer son talent de trouveur.
Elle ne voulut pas son amour,
il se fit mourir dans ses chants,
mais ressuscita le troisième jour.

Il voulut montrer sa passion
pour une dame, mais je dirais :
préoccupé par la
« 
maestria »
de ses chants, il a envie
bien que mort, de jouir de la vie.
Il est seul à pouvoir le faire,
personne d’autre ne le peut.

Et il n’a plus peur de la mort,
Sinon mille fois il la craindrait.
Il est le seul homme qui sait
Comment vivre en étant mort.
Dans ses chants il peut mourir
En étant vivant. Plus grand pouvoir
De Dieu ne pourrait obtenir.
Si Dieu me donnait ce pouvoir
De, bien que mort, pouvoir vivre,
Jamais je ne craindrais la mort.

Pero Garcia Burgalês (Burgos) ~1250

Revenir à la page d’accueil

stats site

La chanson du berger

Posté : 1 avril, 2007 @ 10:50 dans - moyen âge/ XVIème siècle, littérature et culture | Pas de commentaires »

troubadour2.jpg

troubadour21.jpg

Statue (imaginaire) de Bernardim Ribeiro

Je vous ai dit, si vous vous le rappelez, que je ne me souvenais que d’une chanson, que mon père disait avoir entendu chanter à la Nourrice. Sans aucun doute, c’est de cette façon qu’il l’entendit.
La chaleur commençait à tomber, et cela faisait un petit moment que le berger à la flûte, assis au bord de la rivière, sur un petit tertre, regardant l’autre rive où le hasard voulut que la Nourrice l’aperçoive. Il jouait de la flûte tout doucement, comme pour lui-même. Et comme il jouait, voici qu’arriva un troupeau de vaches qui couraient, poursuivies par les mouches, et passant devant lui, elles entrèrent dans l’eau jusqu’au poitrail. Cessant alors de jouer, il resta un peu à songer, sans retirer pourtant la flûte de sa bouche, comme transporté. La Nourrice le regarda faire, et elle aurait voulu lui dire de jouer, car elle avait apprécié sa musique, mais comme elle allait le dire, il commença à jouer doucement et d’une manière qui arrêta la Nourrice. Cela lui parut être une chanson triste et plus qu’une musique de berger ; elle l’écouta de toutes ses oreilles, jusqu’à ce que, après un long moment, lâchant la flûte, il se mette à réciter :

[...]

Entre les larmes et les plaintes
est né mon doux transport,
il a tant grandi, en si peu de temps,
qu’il est le plus grand des tourments.
Car ce n’est pas chose de vent
c’est mal de m’oublier ainsi,
car après moi, plus d’autre moi.

Elle se fait tant attendre,
la fin de ce que j’attends,
que la vie me gaspille,
d’elle déjà je désespère.
c’est le Destin qui me guide,
par sa nature contraire.
Ne sais pourquoi je suis né !

Et en disant ce dernier vers, il semble qu’il ne put retenir ses larmes, et, à peine l’eut-il achevé qu’il se tut, empêché par elles. Le comprenant, car il avait laissé tomber la flûte et pris le pan de sa veste pour les essuyer, la Nourrice, là où elle se trouvait, fut tellement saisie de compassion qu’elle ne put retenir ses propres larmes. Et elle lui aurait sans doute parlé si on n’était pas venu l’appeler de la maison. Elle fut obligée de se lever. Elle se leva et s’en fut, tout occupée de l’invention de ce berger, qui lui paraissait un grand mystère. Et comme ce qui doit arriver trouve vite l’occasion de se réaliser, lorsque la Nourrice entra dans la maison, trouvant Aonia seule, de bonne foi et sans penser à mal elle se mit à tout lui raconter, jurant maintes fois qu’il ne pouvait s’agir d’un berger. Et, comme Aonia comprenait déjà très bien la langue de ce pays, la Nourrice lui récita la chanson, en lui racontant que le berger avait laissé tomber la flûte sur le sol aux dernières paroles, et essuyé avec le pan de sa veste, laquelle était de bure, les larmes qui lui étaient venues, et qu’en achevant de les sécher il avait regardé le pan de sa veste, qu’il tenait à deux mains ; et que, se rappelant, semble-t-il, qui il était, ou pour une autre raison qu’elle ignorait, il avait enfoui son visage dedans, en le tenant ainsi entre ses mains, et après un grand soupir il était resté ainsi, et il l’était toujours quand elle était partie ; et que, lorsqu’on l’avait appelée à ce moment-là, il lui en était venu à elle une grande tristesse, comme elle n’en avait pas ressenti depuis longtemps pour une histoire qui ne la concernait pas.
Et les yeux de la vieille Nourrice s’emplirent de larmes lorsqu’elle dit « histoire qui ne me concerne pas », et elle se détourna et s’en fut s’occuper de la maison.

Bernardim Ribeiro, Menina e Moça, première édition Ferrare 1554

Revenir à la page d’accueil
stats site

la légende de la boulangère

Posté : 22 janvier, 2007 @ 10:47 dans - moyen âge/ XVIème siècle, littérature et culture | Pas de commentaires »

britesdealmeida1.jpg

*

Brites de Almeida n’était pas une femme ordinaire. Elle était laide, grande, ses cheveux étaient crépus et elle était très forte. Elle ne correspondait pas du tout aux critères féminins habituels et avait un comportement masculin. [...] Elle apprit à manier l’épée et le bâton avec une telle maestria qu’elle acquit vite une réputation de vaillance. Malgré sa terrible réputation il se trouva un soldat qui, enchanté par ses prouesses, la chercha pour lui proposer le mariage. N’ayant pas envie de perdre son indépendance, elle lui proposa de combattre auparavant. Le soldat fut blessé à mort et Brites, par peur de la justice, s’enfuit en Castille en bateau. Mais le destin voulut que le bateau soit capturé par des pirates mauresques et Brites fut vendue comme esclave. Elle réussit à rentrer au Portugal avec l’aide de deux autres esclaves dans une embarcation qui, prise dans une tempête, vint s’échouer sur la plage d’Ericeira. Recherchée par la justice, Brites se coupa les cheveux, se déguisa en homme et devint marchande ambulante. Un jour, fatiguée de cette vie, elle accepta d’être boulangère à Aljubarrota et épousa un honnête laboureur… sans doute aussi fort qu’elle.

(more…)

Chanson d’ami (variation 3)

Posté : 14 janvier, 2007 @ 4:05 dans - moyen âge/ XVIème siècle, littérature et culture, Poesie | Pas de commentaires »

cavalier2.gif

« Combien de demoiselles la terre a-t-elle déjà englouties par tant de regrets que leur ont laissés des chevaliers qu’une autre terre engloutit par d’autres regrets ? Les livres sont pleins d’histoires de demoiselles qui sont restées à pleurer pour des chevaliers qui s’en allaient, et, de plus, ne manquaient pas d’éperonner leurs chevaux, parce que ceux-ci étaient moins oublieux de l’amour qu’eux-mêmes. »

Ce livre n’est destiné qu’à un seul être. Mais de celui-ci je n’ai plus rien su, depuis que ses infortunes et les miennes l’ont emmené dans des pays lointains et étrangers où je sais bien que, mort ou vivant, la terre le possède sans qu’il y prenne plaisir, pour son malheur. Mon loyal ami, qui vous a emmené si loin de moi ? Car vous avec moi, moi avec vous, nous avions coutume de nous consoler de nos grands chagrins, dérisoires comparés à ceux venus plus tard ! A vous, je vous racontais tout. Quand vous vous en êtes allé, tout s’est changé en tristesse, il ne semble pas que celle-ci ait fait autre chose que se tenir à l’affût de votre départ. Et, pour que tout me navre encore davantage, il ne m’a pas été donné la consolation de savoir dans quelle partie de la terre vous alliez, car mes yeux se seraient reposés en portant la vue de ce côté-là. Tout m’a été enlevé, dans mon malheur il n’y a eu ni remède, ni réconfort. À mourir vite cela aurait pu m’aider, mais cela ne m’aida pas. Au moins pour vous l’infortune usa d’une manière de pitié en vous éloignant de ce pays ; puisque ne pas ressentir de souffrances était pour vous sans remède, elle vous donna de ne plus les entendre. Pauvre de moi, qui parle à présent sans voir que le vent emporte mes paroles, et que ne peut entendre celui à qui je parle !

 

Bernardim Ribeiro, Menina e Moça, (1ère édition Ferrare 1554)

Revenir à la page d’accueil
analyse web stats

Afonso Henriques: de la ruse

Posté : 18 décembre, 2006 @ 11:09 dans - moyen âge/ XVIème siècle, littérature et culture | Pas de commentaires »

dafonsohenriques.jpg

Et autant il était au début très farouche, autant ensuite il se mit par la grâce de Dieu beaucoup à son service, car en son temps, quand il était jeune homme, il ne connaissait pas du tout Dieu et ne savait même pas qu’il existait, car il était alors si entreprenant et si hardi qu’il ne trouvait personne qui le fût autant que lui, aussi bien dans les armes que dans tout le reste. Après cela, à cause du péché et du mal qu’il avait fait sa mère en la mettant aux fers, il se cassa une jambe à Badajoz, qu’il avait prise à des Maures. Et cela se passa ainsi :
Quand le Roi dom Fernando de León sut que le Roi du Portugal avait pris Badajoz, qui était sur son territoire parce qu’il l’avait conquise, il rassembla une grande armée et marcha sur lui, et les vassaux du Roi dom Afonso lui dirent alors:
« Sire, voici que nous arrive le Roi dom Fernando de León avec une grande armée. »
Le Roi dom Afonso dit alors avec grand orgueil : « Armons-nous et sortons lui livrer bataille. »
Et quand le Roi dom Afonso fut armé et monté à cheval, il éperonna sa monture fort gaillardement, et au moment où il sortit par la porte, il heurta le verrou avec la jambe, et il sortait si vigoureusement qu’il se cassa la jambe et alla aussitôt choir dans un champ de seigle. Et dom Fernan Rodriguez le Castillan qui le vit tomber de cheval alla sur l’heure le dire au roi Fernando :
« Sire, le Roi dom Afonso gît avec une jambe cassée, faites-le prisonnier car il a encore peu de gens avec lui. »
Et le Roi dom Fernando le fit prisonnier sur-le-champ. Et il donna aussitôt au Roi dom Fernando tous les châteaux qu’il avait pris en Galice, et fit promesse et serment que lorsqu’il remonterait à cheval il irait rejoindre le Roi dom Fernando où qu’il fût, et s’en retourna ensuite à Coimbra. Et il ne voulut jamais plus monter à cheval de tous les jours de sa vie jusqu’à ce qu’il meure. Et il allait dans une charrette, et quand il mourut l’ère comptait mille deux cent vingt-trois ans.

Crónicas Breves de Santa Cruz de Coimbra

Revenir à la page d’accueil

compteur MySpace

Exil

Posté : 11 novembre, 2006 @ 8:54 dans - moyen âge/ XVIème siècle, littérature et culture | Pas de commentaires »

exil.jpg

Exil (www.ct.bam.de/people/ct)

Lamentor retourna à sa plainte, qui était grandement justifiée. Mais alors qu’ils étaient restés ainsi, lui et la sœur, pendant très longtemps, et que le soleil était près de marquer midi, la dame de bonne famille (qui par la suite se nomma Nourrice lorsqu’elle éleva la petite fille), comme elle était déjà âgée, et savait beaucoup de choses, s’approcha de l’endroit où ils étaient tous les deux à se lamenter :
- Seigneurs, dit-elle, vous allez pleurer longtemps, car il me semble que le mauvais sort existe en cette contrée aussi bien qu’en la nôtre. Laissez là les larmes, car le temps n’est pas, Monsieur, de ne pas paraître chevalier, ni pour vous, Madame, de paraître si femme. Rappelez-vous que nous sommes tous tristes, que si grand malheur fut le nôtre que non seulement nous devons le souffrir, mais aussi nous en consoler les uns les autres. Et puisque cette douleur n’aura pas de fin, prenons aussi pitié de nous-mêmes, qui sommes vivants. La sépulture est due aux morts : il faut que les choses nécessaires soient faites. Pensez que c’est là le dernier don de la vie. Tant que nous aurons le corps de Dame Bélisa sur la terre, il semblera que nous empêchions la part la moins importante de son départ. Et peut-être souffre-t-elle du fait que nous lui déniions ce droit, alors qu’elle ne nous demandera jamais plus rien d’autre.
Ces paroles achevées, qui ne furent pas prononcées sans larmes ni grande douleur de la part de tous, elle souleva la Demoiselle Aonia dans ses bras, et l’emmena sous la petite tente qui se trouvait à côté. Elle retourna ensuite vers Lamentor, pour l’aider à s’y diriger également. Puis elle s’occupa de préparer le nécessaire. Mais Lamentor ne voulut pas qu’on emmène ailleurs le corps de Bélisa, il ordonna que sa sépulture fût plutôt creusée à l’endroit où elle était morte, car il avait aussitôt décidé de ne plus quitter cet endroit aussi longtemps qu’il vivrait. Et ainsi fut fait.
Parce que la coutume, dans les royaumes d’où ils venaient, était qu’avant la mise en terre du corps tous les plus proches parents vinssent le baiser sur les joues, les familiers aux pieds, et le plus proche parent venant en dernier (il semble qu’ils faisaient cela en guise d’ultime salut, pour que la transmutation soit placée sous de bons auspices), lorsque tout fut fini, la Nourrice vint appeler Lamentor et la Demoiselle Aonia. Ils arrivèrent. Mais la demoiselle Aonia se précipita pour embrasser les joues de sa sœur, criant :
- En une autre contrée il y aurait eu plus de monde pour vous rendre cet hommage !
Puis elle commença à lacérer son beau visage, et tous trois élevèrent une triste lamentation que c’en était merveille, chacun se rappelant sa douleur, et allant baiser les pieds de Bélisa. Lamentor, qui souffrait comme il n’avait encore jamais souffert, après bien des soupirs arrachés à son âme, pensant à ce qu’il devait faire pour accomplir le rite, parla ainsi :
- Hélas, Dame Bélisa, comment dois-je vous saluer ? Pour moi vous avez quitté votre pays, pour moi vous avez quitté votre mère ! Qui a pu vous séparer de moi en terre étrangère, pour que vous me rendiez si triste ? Votre amour pour moi n’était-il pas assez grand ? Mais une mauvaise fortune quelconque de moi fut jalouse, car ce que vous faisiez pour que je fusse le chevalier le plus heureux du monde, elle le fit pour que je fusse le plus malheureux. Infortuné chevalier, car pour vous, Madame, était prévue une sépulture en terre étrangère, et pour ma vie, deux. Mais la vôtre contiendra votre corps, et les miennes, mon corps et mon âme.

Bernardim Ribeiro, Mémoires d’une jeune fille triste (Menina e Moça), Phébus, 2003, première édition Ferrare 1554

Revenir à la page d’accueil

Vengeance et hommage

Posté : 8 novembre, 2006 @ 6:31 dans - moyen âge/ XVIème siècle, littérature et culture | Pas de commentaires »

pedro1.jpg

(1320-1367)

 

Lorsque le roi de Castille apprit que Diego Lopes n’avait pas été pris, il fut très en colère, mais il ne put rien faire de plus ; alors, il envoya Alvoro Gonçalvez et Pero Coelho, bien gardés et enchaînés, au Roi du Portugal son oncle, ainsi qu’ils l’avaient décidé. Et lorsqu’ils arrivèrent à la frontière, ils y trouvèrent Mem Rodriguez Tenoiro, et les autres Castillans, que le Roi Dom Pedro envoyait ; et Diego Lopes disait plus tard en parlant de cette histoire qu’on avait échangé là des ânes contre des ânes. Et ils furent emmenés à Séville, où était alors le Roi, et là le Roi les fit tous tuer. On emmena au Portugal Alvoro Gonçalvez et Pero Coelho et ils arrivèrent à Santarém où était le Roi Dom Pedro ; et le Roi, satisfait de leur arrivée bien que contrarié parce que Diego Lopez s’était enfui, sortit pour les accueillir, et en proie à une rage cruelle, sans pitié, il les mit au tourment de sa main, voulant qu’ils lui avouent qui était coupable de la mort de Dona Inès.
[...]
Et aucun d’eux ne répondit à ces questions quoi que ce fût qui agréât au Roi ; et on dit que le Roi, très en colère, frappa Pero Coelho au visage, et que celui-ci lui cria des paroles laides et malhonnêtes, l’appelant traître, parjure, bourreau et meurtrier ; et le Roi ordonna qu’on lui apportât de l’oignon et du vinaigre pour le lapin [
coelho signifie lapin], se lassa d’eux et les fit mettre à mort. La façon dont on les tua, dite par le menu, serait très étrange et cruelle à raconter, car il fit arracher le cœur de Pero Coelho par la poitrine et celui de Alvoro Gonçalvez par les omoplates ; et les paroles qui furent dites, car celui qui leur arrachait le cœur était peu habitué à cette sorte d’office, seraient bien douloureuses à entendre ; enfin il ordonna de les brûler ; et tout ceci fut fait devant le palais où il séjournait, de sorte qu’il pût, tout en mangeant, regarder et donner ses ordres.
Le Roi perdit beaucoup de sa bonne réputation à cause de cet échange, qui fut tenu au Portugal comme en Castille pour un très grand mal, et tous les hommes de bien qui entendaient cela disaient que les rois se trompaient fort en agissant contre leurs serments, puisque ces chevaliers avaient reçu le droit d’asile en leurs royaumes.
[...]
Et ayant eu l’idée d’honorer sa dépouille [d'Inès], puisqu’il ne pouvait plus rien faire d’autre, il fit construire un monument de pierre blanche, très subtilement travaillé, faisant élever sur le dessus du tombeau son image avec une couronne sur la tête, comme si elle avait été Reine ; et il fit déposer ce monument dans le monastère d’Alcobaça, non à l’entrée où reposent les rois, mais dans l’église à droite, près de la grande nef. Et il fit amener son corps du monastère de Santa Clara de Coimbra, où il reposait, le plus honorablement qu’on pût faire, car elle était portée dans une litière, très bien faite pour ce temps-là, que portaient de grands chevaliers, accompagnés d’hommes très nobles, et de maints autres gens, et de dames, et de demoiselles, et de maints serviteurs. Sur le chemin se trouvaient maints hommes tenant des cierges à la main, disposés de telle manière que son corps fit tout le chemin entre les cierges allumés ; et ainsi ils arrivèrent audit monastère, qui était éloigné de dix-sept lieues, où avec maintes messes et une grande solennité elle fut déposée dans ce monument : et ce fut le plus honorable transfert qu’on eût jamais vu au Portugal.
Pareillement le Roi fit faire un autre monument aussi bien travaillé pour lui, et le fit déposer à côté du sien, afin que lorsqu’il mourrait on le déposât dedans.

Fernão Lopes (1380?– 1460?) Crónica de D. Pedro I

 

inesalcobaa.jpg

Revenir à la page d’accueil
 

 

Abus de pouvoir

Posté : 10 mars, 0201 @ 1:34 dans - moyen âge/ XVIème siècle, littérature et culture | Pas de commentaires »

monnaierodrigo.jpg

monnaie frappée par Rodrigo, roi de Tolède (710-711)

Comment Alataba, fille du comte Ilham, arriva à Tolède.

Ceux qui conduisaient la fille du comte, après être partis de Ceuta, voyagèrent maintes journées jusqu’à Tolède où était le roi Rodrigue. Et celui-ci, lorsqu’il la vit, l’apprécia beaucoup, ainsi que la reine. Et, après qu’on l’eut conduite auprès des autres demoiselles, filles des plus grands nobles d’Espagne, elle commença à tenir son rang elle aussi très bien et à être si bonne et si sage que tous ne disaient d’elle que du bien. La reine l’aimait beaucoup et disait qu’il serait impossible que cette demoiselle, si elle vivait longtemps, ne devienne pas une femme exceptionnelle. Et, je vous assure qu’à entendre ceux qui parlaient de sa bonté et de sa beauté, elle était, à ce moment-là, la plus belle demoiselle de toute l’Espagne.
Or, un jour il arriva que, comme elle se promenait dans un verger avec maintes autres demoiselles, sans coiffure, et que le roi Rodrigue étant placé de façon à bien voir le groupe des jeunes femmes, il aperçut sa cheville. Et celle-ci était si blanche et si bien faite qu’il n’y en avait pas de plus belle. Dès qu’il la vit, il s’éprit aussitôt d’elle, et alla aussitôt la demander. Et, quand elle vit le roi exiger ainsi, elle fut très peinée et se défendit du mieux qu’elle put par de bonnes paroles. Mais il était si obstiné que sa défense ne lui servit de rien, et il vainquit, parce qu’elle était femme, et elle dut obéir au roi Rodrigo, qui l’aimait si fort et lui faisait tant de promesses.
Mais ce fut grande merveille car, dès le premier jour où le roi voulut la prendre, elle l’aima de moins en moins ; elle était sage demoiselle, de bon sens, et elle voyait clairement que le roi ne pouvait rien faire qui ne la déshonorât. Pourtant, sans plaisir, à ce qu’il semble, elle fit ce qu’il voulait. Et il lui vint au cœur un si grand chagrin qu’elle se mit à perdre sa beauté d’une façon effrayante.

(Crónica Geral de Espanha de 1347)

Revenir à la page d’accueil

1...45678